juillet 2015

Le modèle à l’allemande

En prêtant serment devant le Bundestag, la chancelière a conclu, la main droite levée, par les mots : « Que Dieu me vienne en aide ». Et la loi fondamentale de 1949 contient une référence religieuse dans son préambule en y inscrivant « sa responsabilité devant Dieu et les hommes ».

En Allemagne, ni Eglise d’Etat ni séparation laïque à la française, mais un système pragmatique de coopération. Exemple : la coopération entre l’État et les communautés qui assurent l’instruction religieuse n’est pas, pour les Allemands, une atteinte au principe de séparation. L’instruction religieuse est une matière d’enseignement ordinaire, enseignée dans les écoles publiques, organisée par l'État, mais également placée sous le contrôle de chacune des communautés religieuses. Les parents peuvent décider de la participation de leurs enfants (tout comme en Alsace).

Le principe de « neutralité positive » interdit toute discrimination. Les églises sont invitées à se constituer en associations ou en corporations de droit public, ce qui leur permet de lever des impôts collectés par l’Etat. Les religions reconnues - catholiques, protestantes et juives - bénéficient de l’aide des autorités pour financer leurs activités et rémunérer leur clergé. Mais pas (encore ?) l’islam, en raison de sa structuration très décentralisée, malgré quatre millions de fidèles.

Le Conseil scientifique allemand s’est prononcé en janvier 2010 pour le « développement de la théologie et des sciences liées aux religions à l’université » : les professeurs sont formés dans les facultés de théologie, pour la plupart d’État. Celles-ci sont soit protestantes, soit catholiques, quelques universités abritant les deux facultés, comme à Munich ou Tübingen... Il existe une faculté de théologie juive à Heidelberg et, depuis peu, quelques instituts de théologie islamique. 

Evitons les mono-focalisations

Vivre ensemble à l’Université de Freiburg ? Entretien avec le Pr. Mathias Jestaedt, spécialiste de droit public et de droit canonique.

« Pour moi, le mot université est très proche du mot universalité : c’est avant tout un mélange culturel, de langues, de pensées ... L’université Albert-Ludwig compte environ 24 000 étudiants, dont 30% d’étrangers. Freiburg, tout comme son université, est une ville accueillante et paisible, nous n’avons guère de litiges à déplorer ...

Pas de laïcité affirmée à tout crin, mais des situations concrètes auxquelles il faut s’adapter selon le bon sens.

En Allemagne, l’Etat se veut neutre en termes de pratiques religieuses. Une neutralité bienveillante : tout le monde doit pouvoir s’exprimer. Pas de laïcité affirmée à tout crin, mais des situations concrètes auxquelles il faut s’adapter selon le bon sens. Lorsqu’une pratique religieuse ne nuit pas au fonctionnement d’une institution, il n’y a pas de raison de l’interdire par principe. Dans les écoles publiques, le port du foulard islamique n’est pas proscrit de façon générale, mais il le serait s’il dérangeait la paix scolaire ou s’il se voulait provocant. L’école ayant une fonction intégrative, nous partons de l’idée qu’il faut rendre aux élèves, sous forme de droits, ce qu’on leur prend en obligations ... A l’université, il n’y a pas de règles spéciales à ce sujet et cela ne pose pas de problème particulier.

Le « vivre-ensemble » est une thématique de réflexion collective qui, à mon sens, n’a pas de spécificité à l’université. Evitons les mono-focalisations, par exemple sur l’islam. L’histoire du pays est imprégnée de christianisme et le rôle des églises chrétiennes a été dominant dans le champ social. Les églises chrétiennes sont toujours de très gros employeurs, dans les secteurs de la formation, des maisons de retraite, des jardins d’enfants... On peut constater que leur influence a baissé proportionnellement, avec l’arrivée des Allemands de l’est et avec la pluralisation des religions... »

La liberté, au cœur des débats

Qu’est-ce qu’une « religion civilisée » ? Quels sont les rapports entre l’université et les religions ? C’est le genre de questions que (se) pose Magnus Striet.

Suite aux attentats terroristes de janvier en France, le Pr. Magnus Striet s’est exprimé dans l’édition de janvier 2015 d’UniLeben, une publication de l’Université de Freiburg. Il y rappelait qu’au fil de l’Histoire, pratiquement toutes les religions avaient perpétré des violences et que le christianisme, notamment, « avait dû passer par un long apprentissage et d’importantes remises en cause identitaires avant de pouvoir accepter une société laïque et un système d’Etat ».

« Le droit d’être libre dans sa foi est un signe de religion civilisée »

Cet enseignant-chercheur de 51 ans est aussi la cheville ouvrière des Freiburger Religionsgespräche, des débats publics qui attirent à Freiburg jusqu’à un millier de personnes sur des thèmes comme « Religion et sexualité » ou encore, le 29 janvier dernier, « Fanatisme religieux ». Estimant que « le droit d’être libre dans sa foi est un signe de religion civilisée », il place cette liberté au coeur du processus d’entrée dans la modernité. Dans ce contexte, le rôle de l’université est évidemment central. Depuis quelques années, la théologie islamique est présente dans quelques universités allemandes, à Tübingen, Francfort, Münster ou est au programme de la Faculté des sciences de l’éducation, comme à Freiburg. « Dans ce pays (en Allemagne), cela a fait du bien au christianisme de « s’académiser » dans le système universitaire... La théologie, quand elle est abordée de manière scientifique, et à condition qu’elle sache coopérer avec d’autres disciplines, a une influence sur le développement des représentations religieuses et des pratiques, notamment par la formation des futurs cadres ».

Myriam Niss

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