juillet 2015

Facultés de théologie : heureux fruits d’une exception alsacienne

Avec ses deux facultés de théologie délivrant des diplômes d’État, l’Université de Strasbourg fait figure d’exception dans le paysage de l’enseignement supérieur français. Quelles conditions ont permis l’établissement de ces bastions ?

« L’histoire des facultés de théologie est intimement liée à celle de la région, oscillant entre domination allemande et française, entre influence protestante et catholique », commente René Heyer, doyen de la Faculté de théologie catholique de l’Université de Strasbourg. Dans l’Alsace germanique du 16e siècle, Strasbourg, alors protestante, voit naître le Gymnasium. Considéré comme fondateur de l’Université de Strasbourg, cet établissement formait tout « homme utile à la cité » à la théologie protestante mais également aux mathématiques, à la philosophie et la poésie. Il faudra attendre le 17e siècle pour qu’une faculté catholique voie le jour à Molsheim. Sur fond de tension religieuse, cette dernière a pour but de concurrencer l’établissement protestant dont le rayonnement intellectuel est indiscutable.

« C’était tout naturel. De Heidelberg à Göttingen, toutes les universités allemandes comptaient des facultés de théologie en leur sein »

Avec l’arrivée de troupes de Louis XIV, s’en suit une longue période d’administration française qui prendra fin en 1870 avec la défaite de Napoléon III face aux armées de la coalition. Commence une période d’important rayonnement ; le palais universitaire est construit et accueille l’université allemande et ses 6 facultés. Dès l’origine, la faculté de théologie protestante en fait partie. « C’était tout naturel. De Heidelberg à Göttingen, toutes les universités allemandes comptaient des facultés de théologie en leur sein », indique Rémi Gounelle, doyen de la Faculté de théologie protestante.

Le séminaire catholique rechigne à se joindre à la fête. « Le clergé, plutôt favorable aux Français, ne voyait pas d’un bon œil ce rapprochement avec l’État », poursuit R. Heyer. « Ils préféraient garder la mainmise sur la formation des prêtres ». L’empereur réussit alors un tour de force : s’appuyant sur le concordat établi par Napoléon, il obtient un accord avec le Saint-Siège permettant à la faculté de délivrer des diplômes canoniques. Plus aucun obstacle ne s’oppose à l’affiliation de la faculté de théologie catholique à l’université. Elle ne la quittera plus.

Lorsque l’Alsace revient à la France à la fin de la première guerre mondiale, les facultés de théologie s’accordent mal avec la conception de la laïcité républicaine française. Mais après le traumatisme de la grande guerre, c’est la recherche de consensus qui prime. « Les facultés de théologie sont mentionnées lors de l'inauguration de l'université française par le président Poincaré et des arrêtés du commissaire général de la République de juin 1921 en définissent les postes. C’est la reprise d’un héritage », précise R. Gounelle.

« La formation à l’université, c’est l’assurance de ne pas tomber dans l’endoctrinement et le fondamentalisme »

Cet héritage traversa la période sombre du IIIe Reich jusqu’à nos jours, sans remise en cause. « Il est intéressant de noter qu’il n’y a aucune contradiction entre le sentiment républicain des Alsaciens et leur attachement au concordat », assène R. Heyer. D’autant plus que les facultés pourraient jouer un rôle dans la formation des dignitaires religieux. En développant les facultés de théologie, l’État régulerait le fait religieux. « La formation à l’université, c’est l’assurance de ne pas tomber dans l’endoctrinement et le fondamentalisme », conclut Rémi Gounelle. Un luxe dont beaucoup d’hommes politiques aimeraient se targuer.

Fanny Cygan