août 2021

Un Moyen Âge exemplaire ?

Olivier Richard est professeur d'histoire médiévale à la Faculté des sciences historiques de Strasbourg et membre du laboratoire Arts, civilisation et histoire de l’Europe (UR 3400-Arche). D’après ses recherches, il n’était sans doute pas plus difficile pour une personne atteinte de handicap de s’intégrer au monde du travail à cette époque qu’aujourd’hui.

Olivier Richard, professeur d'histoire médiévale

Quelle était la définition du handicap au Moyen Âge ?

La catégorie « personnes handicapées » n'existe pas au Moyen Âge. Elles sont définies par leurs déficiences : on parle des sourds, des aveugles, des boiteux, etc. On les intègre dans la grande catégorie des pauvres ou des fragiles qu'on appelle « infirmi », qu’il ne faut pas traduire par infirme mais par « celui qui n'est pas solide ». Ce groupe comprend les enfants, les vieux et les personnes déficientes.

À cette époque, était-ce la personne déficiente qui s'adaptait à l'environnement ou l'inverse ?

On pourrait dire que l'environnement était mieux adapté à elles. Sans doute beaucoup d’entre elles pouvaient travailler. On leur confiait des tâches que depuis l’âge industriel, avec la standardisation du travail, on ne leur laisse plus faire, par exemple parce qu’elles ne travaillent pas au même rythme que les autres. Une personne qui travaillait moins vite gagnait juste un peu moins d'argent. Alors qu'aujourd'hui, une entreprise préfère payer la taxe sur l'emploi des personnes handicapées plutôt que de les embaucher. Ces personnes étaient peut-être mieux intégrées au monde du travail qu'aujourd'hui. Certes, beaucoup de personnes handicapées sont représentées comme mendiants et devaient l’être, car on leur laissait la possibilité de mendier si elles avaient une grosse déficience. Mais beaucoup de sources indiquent qu’elles préféraient travailler que de vivre de l'assistanat. Un récit de Vie et miracles de saint Louis, vers 1300, évoque ainsi l’activité de filage de laine d’une femme paralysée des jambes. Le texte insiste deux fois sur le fait qu’elle veut vivre de son travail.

Est-ce que ces personnes étaient stigmatisées ?

« Regarder la façon dont le Moyen Âge intégrait ces personnes doit nous faire réfléchir sur nos représentations et nos actions. »

Oui et non. Oui car le discours chrétien de l’époque disait que le handicap pouvait venir du péché. Si ces personnes étaient déficientes, c'était soit la conséquence de leur péché ou, pour les handicaps congénitaux, de celui de leurs parents, par exemple s’ils les avaient conçues pendant le Carême. Donc il y avait une stigmatisation possible. Mais d'un autre côté, le christianisme disait aussi que toute créature est l'œuvre de Dieu et à accepter comme telle. Donc ces personnes, qui incarnaient la fragilité de l’être humain, étaient acceptées par la société qui consentait à les aider et leur donner la charité.

Peut-on dire que la société était plus humaniste qu'aujourd'hui envers ces personnes ?

C'est difficile à dire car les fondements de la société étaient radicalement différents. Quand nous réfléchissons dans notre société actuelle à la façon de faire cesser les discriminations, on ne pense pas en référence à la religion, aux péchés, etc. La comparaison n'est pas évidente. Mais regarder la façon dont le Moyen Âge intégrait ces personnes doit nous faire réfléchir sur nos représentations et nos actions. Aujourd'hui, notre société ne les intègre pas mieux.

Le sceau de la ville d'Ammerschwihr, de 1390, représente Saint Martin découpant son manteau pour un mendiant amputé et marchant avec une béquille. (© Archives départementales du Haut-Rhin)

Propos recueillis par Julie Giorgi