Le 2 décembre dernier, « veille de la Journée mondiale des personnes en situation de handicap », rappelle-t-elle avec fierté, Raficka Hellal-Guendouzi soutenait sa thèse. Désormais docteur en sciences de gestion, elle raconte son parcours, à peine ralenti, et même fortifié, par sa déficience auditive.
Connaissez-vous l’histoire de la grenouille victorieuse de la course qu’on la jugeait incapable de gagner, faisant fi des cassandres et des pessimistes… parce qu’elle était sourde ? Raficka Hellal-Guendouzi s’y compare volontiers : « Quand je me suis lancée dans le parcours de thèse, il y a ceux qui m’ont encouragée, m’ont dit que j’avais les compétences, dont ma directrice de thèse*. Mais aussi ceux qui m’ont dit "déjà en temps normal, c’est difficile, mais pour toi"… J’avais décidé que rien ni personne ne viendrait compromettre ce projet. Je me suis alors dépassée encore plus pour tordre le cou aux préjugés envers le handicap et montrer que l’on peut y arriver et même encore mieux ! »
L’expérience lui a donné raison : elle s’en sort avec les félicitations du jury, et une proposition de prix de thèse, pour la qualité de son travail. Portant sur les comportements de consommation alimentaire des expatriés, celui-ci va être transformé en livre. Pourtant, au début rien n’est simple : « J’ai hésité trois ans avant d’y aller. » D’autant que cette période coïncide avec l’aggravation de sa déficience auditive et un long arrêt maladie.
Elle renonce à des projets de thèse hors de l’Alsace, rejoint le laboratoire de l’École de management Strasbourg, où elle a réalisé son master et enseigne à temps plein depuis 2009, à côté de son activité de consulting en entreprise. Mais « l’élément déclencheur, ça a été la prise de contact avec la mission Handicap de l’Unistra. Ils m’ont accueillie avec bienveillance et ont été d’excellent conseil ». Elle découvre du même coup leur existence, et l’ampleur de l’aide pouvant être apportée : des assistants d’études, lui prêtant « leurs sens » pendant les séminaires, colloques et lors des entretiens pour son travail de collecte de données. Et des aides techniques, prêts d’ordinateurs et systèmes de retranscription vocale. « Certains outils, comme le padlet, ont même été adoptés comme de supers outils collaboratifs par mes camarades de promo ! »
« Je me suis dépassée encore plus pour tordre le cou aux préjugés envers le handicap et montrer que l’on peut y arriver. »
Alors bien sûr, « tout n’a pas été rose. Il y a eu des moments de doute, je me suis pris quelques claques ». Mais elle n’en retient que le positif : « Ça a été une période aussi riche intellectuellement qu’humainement. » Au fil des mois et des défis réussis, « comme la participation sur une même année à trois conférences de renommée internationale », son assurance s’étoffe et son projet de thèse s’en trouve conforté.
Aujourd’hui docteur à 43 ans, Raficka, infatigable bosseuse, « garde dans un coin de la tête l’idée de passer l’habilitation à diriger des recherches (HDR). Ne serait-ce que parce que j’ai envie d’une vraie soutenance [celle de sa thèse s’est déroulée en visioconférence, N.D.L.R.] ! » Elle qui parle cinq langues étrangères, a aussi pour projet de maîtriser la langue des signes française. « Je rédige actuellement un guide sur les expériences doctorales "atypiques". » Et intervient dans les lycées pour parler de la sienne, « faire évoluer le regard des jeunes générations sur le handicap, leur montrer que ce n’est pas une limite. Que les personnes handicapées ne peuvent être réduite à leur déficience », et sont capables de grandes choses. Comme la grenouille du conte.
* Sihem Dekhili, laboratoire Humanis (École de management Strasbourg) puis Bureau d’économie théorique et appliquée (Beta), Faculté des sciences économiques et de gestion.