Les débats sur l’immigration s’invitent à la table des politiciens, devenant des éléments structurant du débat des démocraties européennes. Paradoxal, alors que le projet européen est fondé sur la libre circulation des personnes, effaçant les frontières au sein de l’Union. Stéphane de Tapia, géographe apporte son éclairage sur ce phénomène.
« L’histoire des migrations remonte aussi loin que l’histoire humaine » commence Stéphane de Tapia. « Anne Morelli, professeure de l'Université libre de Bruxelles et historienne belge, a d’ailleurs consacré un ouvrage de plus de 300 pages sur l’histoire de l’immigration en Belgique1. Elle y démontre que ce phénomène trouve ses origines… au Neanderthal » Une façon de rappeler pour ce spécialiste des migrations turques en Europe qu’en matière de mouvements de population, les récents phénomènes du XXIe siècle n’ont rien d’une révolution.
En l’absence de crise majeure, comme la guerre civile qui ébranle la Syrie depuis 2011, c’est essentiellement la raison économique qui motive le départ. L’arrivée de ces hommes et ces femmes irrigue le marché de l’emploi européen et répond à ses besoins, venant ainsi combler le déficit de personnel hospitalier, ou d’auxiliaires de vie par exemple. « De larges pans de l’économie européenne reposent sur l’arrivée de migrants. Ce phénomène remédie également au contexte démographique défavorable de certains pays tels que l’Allemagne ou les Pays-Bas », rappelle Stéphane de Tapia.
Faible proportion de migrants par rapport à la population mondiale
Que dire des politiques menées par les administrations européennes sur ces questions ? « Ayant travaillé pour le Conseil de l’Europe en tant qu’expert sur les questions des migrations, je peux témoigner de l’excellent travail effectué, atteste-t-il. Le problème, c’est que les rapports édités restent lettre morte. » Ainsi les initiatives visant à encourager l’investissement de capitaux dans les pays d’origine des migrants et ainsi contribuer à leur développement économique étaient déjà recommandées il y a quelques années. « L’Europe ne se donne malheureusement pas les moyens de ses ambitions politiques », déplore le chercheur. Un jeu dangereux, laissant certains politiciens affirmer que les intérêts des nations et ceux de l’Union ne seraient pas compatibles. En témoigne, la place centrale jouée par la question migratoire dans le débat sur le référendum du Brexit.
L’Europe ne se donne malheureusement pas les moyens de ses ambitions politiques
Aujourd’hui, la guerre qui sévit en Syrie provoque le déplacement de population vers les frontières de l’Union. Un afflux relatif et dans les faits tout à fait absorbable par les Etats. « On estime que rapportée à la population mondiale, la proportion de migrants représente de 2 à 4% et ceci quelles que soient les époques », énonce le chercheur. Mais un phénomène majeur se profile à l’horizon et risque de changer les règles du jeu. Que se passera-t-il lorsque les dérèglements climatiques rendront certaines régions du globe inhabitables et entraîneront des mouvements de population d’une toute autre ampleur ?
1 Histoire des étrangers et de l’immigration en Belgique, de la préhistoire à nos jours. éditions Couleur Livres.
Fanny Cygan