Alors que les plateformes d’enseignement à distance se développent au sein de l’université, il semble que les étudiants aient parfois des difficultés à se les approprier. Ces « enfants du numérique » auraient-ils peur du virtuel ? Entretien avec Sophie Kennel, directrice de l’Institut de développement et d’innovation pédagogiques (IDIP).
Qui utilise les plateformes d’enseignement à distance ?
On distingue deux sortes de publics : les étudiants qui sont réellement empêchés d’assister à des cours en présence, pour des raisons de travail, de handicap… adhèrent bien à la formule parce que pour eux et pour elles, il s’agit d’une condition sine qua non. Pour les autres, contrairement à ce qu’on pourrait attendre de ces « digital natives », l’appropriation du virtuel ne va pas de soi. Les étudiants ont des difficultés avec les apprentissages à distance. Même s’ils utilisent des outils numériques à tout va, ils sont plutôt traditionnalistes et n’ont pas réellement acquis la culture du virtuel. Car apprendre à distance demande d’autres compétences que celles requises pour surfer sur les réseaux sociaux : il faut savoir utiliser une plateforme, gérer la relation à distance et avoir des compétences comportementales...
Qu’entendez-vous par compétences comportementales ?
Apprendre à distance demande d’autres compétences que celles requises pour surfer sur les réseaux sociaux
Les plus jeunes étudiants ont du mal avec la communication académique et professionnelle, il arrive qu’ils mélangent les registres, voire qu’ils s’expriment comme dans leurs SMS... Par ailleurs, ils ont tendance à rechercher les mêmes repères que dans un cours traditionnel : les modes de communication sont simplement délocalisés au lieu d’être transformés. En début d’année, une séance d’introduction en présence permet de fixer les codes sociaux.
Il me semble que l’enseignement à distance creuse les écarts, que son usage dépend de l’adaptabilité de chacun et de chacune. La classe virtuelle ou le cours en ligne demandent une capacité d’attention plus forte qu’en mode présentiel, ainsi que des aptitudes à effectuer plusieurs tâches en même temps.
Et comment pourrait-on faciliter l’appropriation de ces outils ?
Il faudrait changer nos représentations, car nous sommes pleins de préjugés. On ne connaît pas bien le fonctionnement des étudiants en situation d’apprentissage : les enseignants sont parfois désarmés face aux nouvelles générations d’étudiants. Par ailleurs, on devrait systématiquement former les étudiants à cet enseignement à distance, pour leur faire acquérir cette culture.
Le virtuel ne constitue qu’un complément, il répond à certaines stratégies et à des besoins, mais n’est pas un modèle qui doit être généralisé. Pour l’instant, on a peu d’expérience avec des étudiants en autonomie complète. De fait, ce qui est virtuel, c’est l’instrument de formation... L’acte d’enseigner, quant à lui, n’est pas près d’être virtuel.
Lila Burnouf a préparé un Master2 Caweb entièrement à distance, y compris, pour des raisons pratiques, les cours théoriques pour lesquels elle admet que « c’était d’un intérêt plus limité ». Bien que particulièrement sensibilisée aux outils numériques de par sa formation, elle estime qu’une réelle motivation est nécessaire pour travailler depuis chez soi et pour se mettre dans le bain, « d’autant plus que les outils universitaires ne sont pas encore au niveau de ce que l’on peut trouver sur le web, avec un design soigné et de bonnes interfaces. Les plateformes actuellement proposées n’ont pas encore eu le temps de s’adapter au concept de l’expérience positive de l’utilisateur », déplore-t-elle.
Il faut comprendre leur logique et intégrer qu’il y a un vrai décalage avec nos outils du quotidien
« Pour pouvoir prendre en main ces plateformes pédagogiques, il faut comprendre leur logique et intégrer qu’il y a un vrai décalage avec nos outils du quotidien : elles ne sont pas aussi intuitives que Twitter ou Facebook ! », reconnaît Pascale Clément, chargée de projet e-formation et conceptrice de ressources pédagogiques multimédia. Prérequis indispensables à celui ou celle qui suit une formation à distance : gérer l’isolement, savoir prendre des initiatives, savoir s’autogérer... « Dans l’apprentissage à distance, certaines régulations sont nécessaires par rapport au registre de communication. » Le rapport à l’écrit peut aussi être source de difficultés. C’est pourquoi les étudiants bénéficient à chaque rentrée d’une semaine de formation en présence avec l’enseignant, afin de se familiariser avec le processus. Paradoxe ? Pour Pascale Clément, « la distance rapproche ». Elle insiste sur la nécessaire entraide entre apprenants, lors des classes virtuelles et par l’intermédiaire des forums où les étudiants et l’enseignant, mais aussi les étudiants entre eux, interagissent en « apportant, dans la bienveillance, des réponses co-construites ».
Pour Olivier Morisson, responsable du département Enseignement à distance, « seuls les outils sont virtuels, en cela qu’ils essaient de représenter l’organisation physique d’un espace, par exemple la salle de classe. Il ne s’agit pas de simulation mais d’une séance en ligne, on essaie de rendre les choses aussi concrètes que possible, de trouver des solutions pour permettre des interactions synchrones... C’est juste une autre façon de travailler ». Responsable d’un master 2 en droit à distance, il souligne lui aussi l’importance pour les participants, auxquels aucune expertise technique préalable n’est demandée, de comprendre concrètement, dès le démarrage de la formation, ce que l’on attendra d’eux en cours d’année.