Succession de trois horloges (XIVe, XVIe et XIXe siècle), l’horloge astronomique de Strasbourg abritée aujourd’hui par la cathédrale de Strasbourg constitue un chef-d’œuvre de précision sans exemple. Mais que montre-t-elle exactement ? Édouard Mehl (1), professeur de philosophie et d’histoire des sciences à l’Université de Lille 3, nous apporte quelques réponses.
A l’époque médiévale, l’astronomie ne constitue pas une fin en soi : l’horloge reproduit les mouvements des luminaires (le Soleil et la Lune en astrologie) et des astres parce qu’ils sont in signa temporum : l’astronomie sert à calculer et prévoir le calendrier qui est principalement celui des fêtes religieuses. Entre le XIVe et le XVIe siècle, les travaux des mathématiciens sont discutés lors des conciles : ils aboutiront, en 1582, à la mise en place du calendrier dit “grégorien” sous l’autorité du Souverain Pontife Grégoire XIII.
Elle veut montrer comment correspondent et s’harmonisent les différentes strates du temps : le temps des saisons, le temps de la prière et des fêtes, le temps des civilisations et des époques de l’humanité, et le temps universel réglé par le cours des astres.
Ce que montre l’horloge, c’est l’universalité du temps diffracté dans la nature et l’histoire - nature et histoire dont l’unité est le monde. Nous sommes habitués à parler « d'horloge astronomique » parce qu'elle définit une certaine mesure de l'année par rapport aux mouvements apparents du Soleil, et qu'elle indique les positions respectives des planètes. Mais en réalité il s'agit davantage d'une horloge astrologique, qui montre la marche de l'humanité vers l'accomplissement de la fin des temps.
L’horloge montre une série d’énigmes – astronomique, astrologique, historico-politique et théologique – des choses que le temps présent est en train de vivre mais qu’il est, justement parce qu’il les vit, incapable de juger. L’horloge astronomique de Strasbourg est une œuvre de science mais la prouesse scientifique et technique de la seconde horloge (1574) n’est en rien emblématique de la sécularisation du monde par la science. La césure de la sécularisation ne se passe pas entre l’horloge des trois rois (années 1350) et l’horloge protestante mais entre celle-ci et l’horloge de Schwilgué (XIXe siècle). Avec Schwilgué, c'en est fait de la superposition du temps astronomique et du temps eschatologique2, caractéristique de la spiritualité protestante au temps de la Réforme. C'est désormais un seul et même temps, uniforme, qui sert à mesurer le mouvement des astres et la durée de l'existence humaine : on entre alors dans le cauchemar métronomique de la modernité.
1 Maître de conférences et doyen de la Faculté de philosophie de l’Unistra jusqu’en 2014.
2 Ensemble de doctrines et de croyances portant sur le sort ultime de l'homme après sa mort et sur celui de l'Univers après sa disparition.