Dans un système de recherche focalisé sur l’évaluation quantitative et la bibliométrie, est-il encore possible, pour un chercheur, de prendre son temps ?
« La preuve que l’on publie trop vite, c’est que le nombre d’errata et de rétractations croît de manière inquiétante ! », constate Yves Gingras, historien et sociologue des sciences à l’Université du Québec *.
Peut-on fixer des limites temporelles à une recherche véritablement originale ?
« Avant, le long-terme était la base-même de la recherche. Un chercheur pouvait consacrer 30 ans à obtenir des résultats. » Aujourd’hui, « l’obligation de montrer qu’on est actif » et l’injonction à produire beaucoup et vite mènent, déplore-t-il, « à des résultats souvent routiniers et prédictibles ». En France, l’Agence nationale de la recherche (ANR) pousse à mettre en place des projets sur trois ans. « Mais peut-on fixer des limites temporelles à une recherche véritablement originale ? »
Jean-François Lutz, directeur de recherche en chimie macromoléculaire à l’Institut Charles-Sadron (CNRS – Unistra), défend lui aussi l’idée d’une slow science, où réflexion et qualité primeraient sur vitesse de publication. « On est passé en un siècle du savant seul avec ses éprouvettes au scientifique-chef d’entreprise, qui doit convaincre du bien-fondé de ses recherches et trouver des crédits pour les mener à bien. »
Certains, notamment dans le domaine de la chimie moléculaire, livrent jusqu’à 50 publications par an. Et la course aux citations, devenue sport mondial, constitue le critère principal de la reconnaissance des chercheurs. Cette obligation implicite entraine la publication de travaux où ne sont apportées que quelques variations légères par rapport à des articles plus anciens, au détriment de la diversité. « Et qui a envie de lire des articles scientifiques qui n’apportent rien de neuf ? » Suite à sa tribune libre publiée dans Nature Chemistry en 2012, de nombreux chercheurs avaient signifié qu’ils se reconnaissaient dans l’appel à la slow science. « C’est une réaction très saine », renchérit Yves Gingras, à propos de ces scientifiques qui contestent le diktat du publish or perish (publier ou mourir). Reste à trouver un moyen de le contrer : « Dans les années 1980, on n’évaluait les professeurs des grandes universités, comme Harvard ou Columbia, qu’à partir de leurs 10 meilleures publications ». Ce simple mécanisme suffirait-il à limiter le nombre de publications hâtives, au profit de la science ?
* Intervient fréquemment au sein de l’Institut de recherches interdisciplinaires sur les sciences et la technologie (Irist) et du Bureau d’économie théorique et appliquée (Beta) de l’Unistra.