Concilier transition numérique et transition écologique à l’ère du réchauffement climatique est l’un des enjeux majeurs identifiés par la Commission européenne. Une problématique qu’elle a chargé Stefano Bianchini, chercheur au Bureau d'économie théorique et appliquée (Beta* – UMR 7522), d’étudier.
Comment mesurer l’impact environnemental des technologies numériques en plein essor ? Comment savoir si la révolution numérique s’inscrit dans un modèle d’économie verte ? Les deux révolutions technologiques en cours sont-elles compatibles ? Ces questions sont celles que se pose la Commission européenne depuis quelques années notamment depuis le lancement du « European Green Deal » en 2019. Pour tenter d’y apporter des réponses, Giacomo Damioli du Centre commun de recherche (JRC), service scientifique interne de la Commission, s’est tournée vers Claudia Ghisetti, de l’Université catholique du Sacré-Cœur (Milan), et Stefano Bianchini, enseignant-chercheur de l’Université de Strasbourg.
Pour conduire ses recherches, Stefano Bianchini a eu recours à l’une des technologies qui constitue à la fois son sujet d’étude depuis trois ans et son outil de travail : l’intelligence artificielle. Celle-ci lui a permis d’établir une taxonomie de la sémantique des innovations numériques et écologiques, puis d’interroger des bases de données en quête de publications scientifiques et de brevets dans ces deux domaines. La géolocalisation des structures, publiques ou privées, ayant publié ces documents a permis de dresser des cartes à l’échelle européenne. En parallèle, les chercheurs ont interrogé la base de données European Pollutant Release and Transfer Register (E-PRTR) qui répertorie les rejets de gaz à effet de serre des entreprises sur la période 2007-2015, pour élaborer une carte des émissions polluantes au niveau régional. De l’aveu du chercheur, « cette étude n’est pas encore terminée, même si on peut déjà en tirer plusieurs enseignements ».
Les régions les plus polluées sont également celles où l’on conduit le plus de recherche dans le domaine du numérique
Les cartes font notamment transparaître des disparités géographiques : l’innovation numérique est davantage concentrée dans des knowledge hubs au sein des régions traditionnellement industrielles tandis que l’innovation verte est répartie de façon plus homogène.
La superposition des cartes, quant à elle, permet d’établir des relations entre les technologies et leur impact environnemental. Première observation : les régions les plus polluées sont également celles où l’on conduit le plus de recherche dans le domaine du numérique. Deuxième enseignement : la forte présence de technologies vertes dans ces régions ne permet pas de compenser entièrement les méfaits du numérique. Troisième constatation : toutes les technologies numériques n’ont pas le même impact. La robotique ou l’impression 3D ont des répercussions à une échelle locale, tandis que les technologies virtuelles, comme le cloud, ont des effets distants. Les datacenters sur lesquelles elles reposent ne se trouvent, la plupart du temps, pas en Europe. « D’un point de vue éthique, c’est important de connaître les répercussions des technologies qu’on utilise, y compris à une échelle plus large que celle de l’Europe », note Stefano Bianchini.
Les études continuent. « On entrevoit beaucoup de problématiques à approfondir », précise-t-il. Autant de matière à réflexion qui pourra, en temps voulu, avoir une influence sur les politiques publiques de la Commission européenne.
Edern Appéré
1 Unité mixte de recherche du CNRS (7522), des universités de Strasbourg et de Lorraine, de l'Inrae et d'AgroParisTech