février 2019

Strasbourg pionnière

Alors qu’il était Directeur général de l'enseignement supérieur et de l'insertion professionnelle (DGESIP), Bernard Saint Girons a accompagné la fusion des trois universités strasbourgeoises. Il revient ici sur le caractère pionnier de la démarche.

En quoi Strasbourg a-t-elle innové en matière de regroupement des universités ?

Le « cas strasbourgeois » est tout à fait remarquable. C’est à Strasbourg que s’est engagé le premier processus de fusion des universités, dont l’idée et la conception avaient germé avant même la loi de programme pour la recherche (2006) et la loi relative aux libertés et responsabilités des universités (LRU-2007). C’est le fruit d’une démarche bottom up, du bas vers le haut, qui s’inscrit dans la durée et dans la continuité des présidents de l’Université Louis-Pasteur. Car c’est clairement Strasbourg 1 qui a initié et porté le processus, avec un projet fort de reconstruction. L’ULP mettait son prestige au service de toute la communauté universitaire, indépendamment des lois de 2006 et 2007 et en marge des institutions. J’ai retrouvé aussi dans cette détermination une volonté de reconstituer l’université unique qui avait été démantelée en 1968.

Quelles sont les caractéristiques et la plus-value de cette université unifiée ?

« La fusion des universités strasbourgeoises a apporté une grosse plus-value »

L’Université de Strasbourg a une vision stratégique en matière d’offre de formation, de recherche et de partenariats. Elle a également repensé son rapport à la gestion. Elle porte une vision nouvelle du centre et de la périphérie. On peut dire qu’elle n’est pas à proprement parler centralisée car, si elle est dotée de services centraux communs, les composantes gardent leur autonomie au quotidien.

Par ailleurs, les approches interdisciplinaires sont plus faciles à mettre en œuvre dans les grandes universités. Cela va dans le sens d’une « amélioration de l’ordinaire ». J’estime que la fusion des universités strasbourgeoises a apporté une grosse plus-value. La recherche a besoin d’être diffusée et cette visibilité a indéniablement été renforcée. Si l’on mesure l’efficacité aux projets du Programme investissements d’avenir, Idex (Initiative d’excellence) et Labex (Laboratoire d’excellence), Strasbourg est aujourd’hui l’un des sites les plus performants, même si cela ne s’exprime pas obligatoirement dans les classements internationaux. En ce qui concerne ces classements, Louis-Pasteur n’aurait d’ailleurs pas eu besoin de la fusion pour être parmi les meilleures.

Et Strasbourg a fait école…

La fusion n’est pas le seul modèle possible, car cela suppose un travail important et toutes les universités n’ont pas la possibilité de l’accomplir. A Lille, par exemple, cette université unique est encore en construction. Chaque site universitaire a son histoire propre et les expériences passées ont leurs limites. On ne peut pas tout simplement décider de les reproduire, il faut aussi prendre en compte les réalités du terrain, voire certains ressentiments ou encore des options politiques divergentes… Aix-Marseille s’est reconstruite sur un modèle comparable à Strasbourg, dans une logique métropolitaine. Grenoble s’en rapproche également, mais certaines composantes sont restées à l’écart. L’Université de Lorraine, issue de l’histoire régionale, regroupe les universités de Nancy et de Metz ainsi que l’Institut Polytechnique. A Toulouse par contre, l’intégration n’a pas été trouvée et l’une des conséquences est que le label Idex n’a pas été accordé au site.

Dix ans après… un bilan ?

La fusion a un coût, mais elle vient assurer la cohérence des investissements humains et financiers. Le Plan campus de Strasbourg en constitue un exemple éloquent. Il me semble que la réussite d’un tel bouleversement se mesure à la capacité de relais d’un président à l’autre, à l’aptitude à « passer le virage ». C’est vrai, des présidents à forte personnalité sont parvenus à imposer une vision. D’autres n’y sont pas arrivés. Et je dois dire que c’est à la fois rassurant… et tout de même un peu inquiétant de savoir que des personnalités de conviction peuvent à ce point infléchir la politique !

Propos recueillis par Myriam Niss