Ils ont vécu la fusion et participé à la création et à la vie de l'université. À l'occasion des dix ans de l'Université de Strasbourg, ils témoignent de leur expérience.
Comment la création de l’Unistra a-t-elle modifié les pratiques partenariales entre l’Eurométropole et l’université ?
Cela a changé beaucoup de choses. La fusion nous permet d’associer plus facilement l’université à nos projets. D’autant plus que l’Unistra a vite fait la preuve de son excellence, de son rayonnement, de son impact sur le territoire. L’université unique facilite la mise en réseau avec l’ensemble de ses partenaires. Elle nous a permis tous ensemble de remporter des batailles très importantes comme l’Idex ou le Programme investissements d’avenir (PIA).
Avez-vous un exemple précis ?
En décembre dernier, nous avons inauguré EASE : usine-école unique en Europe. C’est un bel exemple de partenariat entre l’Unistra, le PIA, les collectivités territoriales, le privé : nous nous sommes fait confiance. Il faut d’ailleurs ajouter dans le tour de table la Fondation de l’université, qui est une des très belles réussites de l’Unistra. La fusion nous a aussi permis de mieux prendre en compte les besoins des étudiants : logement, accès à la culture… afin qu’ils se sentent mieux dans la ville.
L’Unistra a-t-elle amélioré l’attractivité de l’Eurométropole ?
Notre territoire est très marqué par son histoire et son patrimoine qu’il faut évidemment sauvegarder. L’Unistra est le signal d’un territoire entreprenant, capable de dispenser des savoirs de très grande qualité et donc de créer des liens avec le monde économique et industriel. Le développement de la géothermie profonde dans l’Eurométropole est un bon exemple de ces liens renforcés entre université et industrie. La forte présence des étudiants étrangers souligne aussi le caractère européen et international de la ville. La qualité de nos hôpitaux ou établissements privés de santé ne serait pas la même sans l’Unistra. L’université contribue à l’image d’excellence et d’innovation de l’Eurométropole.
Jean de Miscault
« Pour moi, la fusion a poussé l’Université de Strasbourg à se rapprocher du modèle de référence des grandes universités internationales d'excellence : pluridisciplinaires, puissantes, dotées d’un projet stratégique ambitieux pour l’avenir. En France, le milieu de l’enseignement supérieur et de la recherche est complexe, avec des acteurs non-universitaires (les grandes écoles, les organismes de recherche), ce qui implique un positionnement précis. Dans ce contexte spécifique, je ne pense pas que les universités strasbourgeoises, si elles étaient restées séparées, auraient réussi à construire un projet stratégique aussi clair et cohérent pour l’avenir du site.
La fusion a permis de rationaliser, d’être plus efficace, de donner plus de cohérence aux projets, d’être plus dynamique, plus visible aussi : une seule université, un seul collège doctoral, une seule société d'accélération du transfert de technologies, un seul incubateur, une seule fondation, etc. Sans doute beaucoup d’énergie et de moyens préservés par cette absence de dispersion.
L’université unique s’est aussi considérablement ouverte sur le monde socio-économique et sur la société civile, comme c’est le cas des autres grandes universités internationales. Les liens avec les entreprises se développent et se multiplient. Des partenariats gagnant-gagnant se nouent avec des interlocuteurs qui se comprennent mieux et dont les logiques se rapprochent. Comme employeurs, les entreprises sont sensibles à la création d’un guichet unique et apprécient de trouver plus rapidement les compétences dont elles ont besoin. Elles n’ont plus qu’un interlocuteur, ce qui simplifie grandement la relation. Cet argument vaut aussi pour les partenaires institutionnels territoriaux et nationaux de l’université, ainsi que pour ceux d'Eucor – Le Campus européen.
La pluridisciplinarité a clairement ouvert la voie de l’Idex. Grâce à ces fonds et aussi à ceux collectés par la fondation, un meilleur équilibre existe entre le financement des projets en sciences dures et ceux en sciences humaines et sociales. Plus personne ne conteste les avantages apportés par l'interdisciplinarité dans la recherche, dans ce monde complexe où les solutions innovantes se trouvent souvent justement aux frontières entre les disciplines. Bref, la fusion a créé une université qui fait le poids et construit son avenir entre excellence et facteurs de différentiation. »
Caroline Laplane
En quoi la fusion a-t-elle changé les relations que vous entretenez avec l’Université de Strasbourg ?
J’ai la sensation que l’interface entre l’université et la cité est devenue plus simple et plus dynamique. L’Université de Strasbourg n’a pas perdu en complexité mais a gagné en dynamisme et en fluidité en termes de projet. Nous avons pu co-concevoir plus facilement un projet comme celui du Jardin d’hiver en novembre 2015 par exemple. Ce projet qui a reçu le soutien de l’Idex, est le fruit d’une résidence de l’Ososphère à l’université pendant un an. A partir de ce travail, nous avons construit un événement de quatre jours qui a permis au campus central de revendiquer son statut d’espace public au cœur de la ville. Ce projet global émanant d’une unité centrale permet d’ouvrir des perspectives et de s’inscrire dans la durée.
Diriez-vous que l’université a gagné en visibilité dans l’espace urbain ?
Oui, je crois que l’université est plus ouverte sur la ville, plus visible et plus identifiable. Pour moi, l’exploration du territoire apprenant demeure un élément fondamental de la mission de l’université. Elle a aussi voix au chapitre en termes de développement économique et par la fusion, cette voix est devenue plus audible. Le dialogue avec l’extérieur a été facilité.
Selon vous, il y a un avant et un après fusion ?
Il y a eu un tournant, c’est incontestable. Il s’agit aussi d’une affaire de personne. Le président de l’université a permis beaucoup de choses, des gens comme Mathieu Schneider également. La fusion a été bien menée. L’Université de Strasbourg apparaît désormais comme un établissement, une force vive de la ville, et non pas comme un écosystème impénétrable à celui qui n’en possède pas les codes. Cela me semble indispensable car au-delà de ses missions traditionnelles, l’université est un des moteurs de la transformation de la ville. Et aujourd’hui, cette démarche s’effectue de manière partenariale. Une série d’acteurs et de projets naissent à l’intérieur de l’université et se fertilisent ensuite à l’échelle d’un territoire. L’université a renforcé sa présence dans la ville.
Julie Giorgi
Je venais tout juste de prendre mes fonctions à l’Université Marc Bloch… Des groupes de travail thématique ont été constitués, avec des représentants des trois universités. Dans le groupe « finances », cela se passait plutôt bien… Je dois dire que la fusion a représenté beaucoup de travail pour les services centraux. La première année, 2009, a coûté beaucoup d’énergie, d’autant plus qu’en même temps, les universités voyaient leurs compétences élargies… Il fallait être réactif ! C’est à partir de 2011 que nous avons pu adopter un rythme de croisière. Avec le recul, je trouve que c’est une belle réalisation… La marque Unistra est une référence dans le paysage, l’université s’est solidifiée, de multiples projets y foisonnent… Le contrôleur budgétaire régional m’a même dit récemment qu’il en avait le vertige !
Je n’ai pas connu la période d’avant, car je ne suis arrivé en Faculté de droit qu’en 2012. Je dois dire que j’ai encore rencontré alors des gens qui ne savaient pas que l’université Robert Schuman avait fusionné avec les autres ! Avoir une grande université unifiée permet aux associations étudiantes de se croiser, de se rencontrer plus facilement. Cela a permis de mettre en place une grosse base de données d’associations étudiantes. Selon moi, il y a beaucoup de points bénéfiques : une plus grande proximité, une unité de la communauté, au-delà des corporatismes et des prés carrés… Et le fait d’identifier un seul acteur permet aussi à l’université d’être mieux ancrée dans la ville.
En tant que DRH de l’Université Robert-Schuman, j’avais déjà l’habitude de travailler avec les autres DRH. Cela n’a donc pas été difficile de faire fonctionner les groupes de travail. La mise en place des procédures s’est faite petit à petit. On a découvert de nouveaux métiers, notamment en ce qui concerne la gestion prévisionnelle des emplois et des compétences ou encore le contrôle qualité, qui a été approfondi. Nous n’aurions sans doute pas pu réaliser tout cela dans nos universités respectives.
A cette échelle, on pourrait craindre que la gestion ne soit anonyme, mais ce risque est compensé par de nouvelles approches, notamment en ce qui concerne l’accompagnement des personnes via le Bureau des carrières. Cela a permis de développer la qualité de vie au quotidien des personnels. Une université de cette taille permet aussi plus de mobilité au sein même de l’établissement. J’ai rencontré de nouvelles personnes, j’ai appris à construire en commun… Participer à cette belle aventure m’a beaucoup apporté.
C’était un grand défi que de vouloir forger, à partir de trois cultures assez différentes une culture collective ! Cela a été ma priorité… Au début, je pense que certaines filières avaient peut-être peur que d’autres prennent le dessus… Mais, le temps faisant, cette crainte s’est résorbée peu à peu. L’organisation de la première rentrée commune des trois universités a constitué un gros dossier. J’ai été la première vice-présidente Vie universitaire : cette vice-présidence a été une belle innovation dans le cadre de la fusion, une reconnaissance pour les étudiants, puisqu’on lui a donné la même place qu’aux autres vice-présidences…
Enseignant-chercheur à Marc-Bloch en 2009, élu au conseil scientifique, j’étais favorable à la fusion. En Staps, on a l’habitude des croisements disciplinaires : il me semblait important de pouvoir travailler, dans un cadre plus formel, avec des chercheurs de domaines différents. Par contre, dans les trois universités, on pouvait s’identifier aux figures intellectuelles qui avaient donné leurs noms aux universités, ce qui est moins le cas aujourd’hui. Résistant et historien adepte de la comparaison, Marc-Bloch me convenait très bien.
La fusion a hissé l’université à une autre échelle avec des aspects positifs tels que son rayonnement à l’international. Mais avec plus de 50 000 étudiants, on constate également un plus grand éloignement entre centre et périphérie, qui peut entraîner des dysfonctionnements. Il a fallu créer des structures intermédiaires, comme les collégiums, qui ont encore à faire leurs preuves.
La fusion a apporté une dynamique excitante et motivante. Elle a permis à l’université de gagner en visibilité, de mutualiser des moyens, de développer la pluridisciplinarité… Aujourd’hui, la « marque » est acquise, même dans les écoles. Mais il reste du chemin à parcourir et il s’agit notamment de réfléchir aux modalités à mettre en place pour éviter une trop grande centralisation et pour s’appuyer sur les structures intermédiaires, comme les collégiums, dont il reste à définir les missions. Une réflexion s’impose sur le modèle de gouvernance afin d’identifier « le bon endroit » où doivent se prendre les décisions. Nous avançons par petites touches et devons encore acquérir de la maturité pour tirer pleinement les bénéfices de cette fusion.