février 2020

Génération start-up ?

Vue par les étudiants et les chercheurs, qu’est-ce qu’une start-up ? Projets d’étudiants, créations issues de laboratoires de recherche : mais qu’est-ce qui les pousse à se lancer dans des projets d’entreprise ?

Caroline Dreyer
Caroline Dreyer
Gregory Hebinger
Gregory Hebinger

« Les jeunes voient l’entreprise comme un concept old school… alors que le mot start-up leur évoque des gens cool, modernes, qui travaillent en coworking. » Gregory Hebinger, coordinateur du Pépite Etena* (Étudiants entrepreneurs en Alsace) s’amuse de cette dichotomie. Pour lui, « une start-up est avant tout une entreprise innovante. Et elle correspond bien à une génération en quête de sens, qui a du mal à se projeter dans un métier classique, qui veut participer, prendre des décisions, sortir de sa zone de confort et maîtriser son destin. Avant, c’est l’organisation qui était au centre, aujourd’hui, ce sont les talents. Et construire son emploi suppose le développement de compétences transversales qui pourront servir ultérieurement. »

Ce qui distingue également la start-up, c’est son côté work in progress : la startup n’est pas un produit clé en main, elle explore, expérimente, recherche son modèle économique… « Comme la traduction littérale l’indique, une start-up est une entreprise qui démarre. Et qui n’a pas forcément atteint le degré de maturité nécessaire à la production », précise Vincent Marichez, co-fondateur et président de la société Qfluidics, une « jeune pousse » qui développe une pompe magnétostatique utilisant des tubes liquides en ferrofluides. Qfluidics est issue du Laboratoire des systèmes complexes hors-équilibre de l’Institut de science et d’ingénierie supramoléculaires (Isis), où Vincent Marichez a réalisé une thèse puis un contrat post-doc. La Satt Conectus (voir encadré) a mis le projet en maturation, l’a accompagné et fait breveter. « La start-up est lancée, mais nous sommes toujours installés dans les locaux de l’Isis, à la recherche d’investisseurs. Et il reste au moins trois ans de développement pour que le produit soit commercialisable. » Il estime que le jeu en vaut la chandelle : « Je me destinais à la recherche publique, mais le climat n’y est plus très favorable. Et quand on réalise qu’on peut passer de la paillasse à un produit industriel, quand on a mis les mains dedans… c’est gratifiant, parce qu’on a des retours concrets ! »

Mettre au jour de vraies innovations

« La start-up correspond bien à une génération en quête de sens, qui a du mal à se projeter dans un métier classique. »

C’est aussi l’histoire de Guillaume Nominé, créateur d’Atolia, un espace digital de travail collectif et de gestion partagée de projets. Pour lui, le déclic se produit lors d’un projet scolaire au sein de l’École nationale supérieure d'informatique pour l'industrie et l’entreprise. Il prolonge ses études par une année supplémentaire en tant qu’étudiant-entrepreneur avec Etena, ce qui lui permet d’avoir des locaux et des relations avec de futurs partenaires. « J’ai toujours été dans le monde du web et j’étais déjà auto-entrepreneur. La création d’une start-up s’est faite tout naturellement. Pour moi, c’est une entreprise que l’on peut rapidement développer et dupliquer, dont on peut mesurer les impacts et qui n’a pas la croissance linéaire d’une société traditionnelle. Certes, la charge de travail y est supérieure -dans une start-up on ne compte pas ses heures- et persévérance et polyvalence sont les attributs indispensables des personnes qui y œuvrent. » Côté chercheurs, Caroline Dreyer, présidente de la Satt Conectus, reconnaît l’intérêt d’un environnement favorable, avec la loi Pacte, qui permet aux chercheurs de consacrer 50% de leur temps à l’entreprise et un plus fort engagement de l’État, soutenu par la Banque publique d’investissement. « Mais ce qui reste primordial, c’est une belle science. Le chercheur a la capacité, l’ouverture d’esprit et la liberté de mettre au jour de vraies innovations de rupture, dont on tient compte enfin dans les progressions de carrière des chercheurs. » L’accompagnement permet de stimuler et de rassurer. « Le chercheur ne va pas forcément porter lui-même tout le projet : les scientifiques ont souvent envie de rester dans leur laboratoire, tout en étant liés à la start-up. Il faut s’assurer qu’il y ait un leader. D’où la mise en place du dispositif Team-to-market qui recherche des managers pour monter les projets en binômes. »

* Pôle étudiants pour l'innovation, le transfert et l’entrepreneuriat. L'accompagnement et la formation sont au cœur de leurs missions. Les étudiants et les jeunes diplômés viennent y concrétiser leurs projets de création d'entreprise. Le réseau Pépite compte 30 pôles étudiants sur le territoire français, dont Etena à Strasbourg. 

Le chercheur n’est pas seul

Conectus est une Satt (Société d’accélération du transfert de technologies) créée par l’Université de Strasbourg et ses partenaires. Sa mission première est d’identifier des innovations pertinentes. « Conectus est l’unique opérateur, couvrant toute la chaîne de valeurs, de la gestion de la propriété intellectuelle au licensing, avec un plein mandat de gestion et de signature », résume sa présidente, Caroline Dreyer. Conectus accompagne les acteurs de terrain, prépare les dossiers, active des partenariats, consolide les projets, aide à organiser des levées de fonds pour créer des emplois : « Le chercheur n’est pas seul, il a des relais. » Ces futures entreprises doivent aussi trouver des investisseurs « qui voudront, dans quelques années, des retours sur investissement. Nous nous devons donc de présenter des projets parfaitement au point. » Des études régulières analysent les indicateurs d’impacts socioéconomiques des projets en cours.

https://www.conectus.fr/

Le couteau suisse

À Strasbourg, le Pépite Etena (Etudiants entrepreneurs en Alsace) concerne environ 200 étudiants par an, issus d’une vingtaine de composantes. « Etena est le couteau suisse de l’étudiant-entrepreneur, résume Gregory Hebinger, coordinateur d’une équipe de six personnes, dont trois ex-étudiants entrepreneurs. Le plus important, c’est de donner envie. » Etena, par des programmes successifs d’accompagnement, amène les jeunes à identifier leur projet puis à passer en « mode business » pendant quatre mois intensifs. Un dernier programme aborde les solutions de financement. Ces programmes visent à « donner les clés pour entreprendre et trouver des ressources humaines, matérielles et financières ». Les formations s’appuient sur des pédagogies actives, en présentiel ou à distance, par modules dont certains sont validés en crédits universitaires.

http://etena.u-strasbg.fr/

Les startupers en parlent

Abdelkader Lahmar
Abdelkader Lahmar

Abdelkader Lahmar, Étudiant-entrepreneur

Abdelkader Lahmar est interne en médecine lorsqu’il réalise sa thèse sur le sujet des conseils aux voyageurs. En interrogeant les particuliers sur leurs attentes en termes de prévention, il se rend compte que l’outil numérique pourrait être une solution pertinente pour y répondre. « Le projet de développer l’application Travel kit, destinée à donner des conseils de santé aux voyageurs avant, pendant et après leur voyage, prend forme vers la fin de ma thèse. C’est à ce moment que je fais les démarches pour devenir étudiant-entrepreneur via Pépite Etena », explique-t-il. À ce moment, Abdelkader Lahmar n’a aucune connaissance du milieu de l’entreprise. La première année, il obtient le statut d’étudiant-entrepreneur et la deuxième, il s'inscrit au diplôme universitaire d’étudiant-entrepreneur et au programme Pépite Starter. « Il s’agit d’un programme intensif qui m’a permis de découvrir l’écosystème local, de répondre à beaucoup de questions liées au développement de mon projet et surtout d’acquérir des compétences dans la construction d’un business plan, d’un plan de financement ou plus simplement dans la présentation de son projet, le fameux pitch. » Résultat : le projet Travel kit s’est vu décerner le prix Pépite national pour la Région Grand Est, avec une dotation de 10 000 euros, en octobre dernier, à Paris.

Myrian Niss