octobre 2017

Prédire pour expliquer

Les ondes gravitationnelles, le boson de Higgs et même l’atome en son temps… En physique, de nombreuses entités ont d’abord été prédites par les théoriciens avant que leur existence ne soit démontrée. Certaines, comme la matière noire, patientent toujours au rang du « plausible » voire du « probable » et continuent d’alimenter les spéculations des physiciens. Vous avez dit « virtuel » ? Méfiez-vous.

Manipulation au sein de l'Institut de génétique et de biologie moléculaire et cellulaire (IGBMC) © Pascal Bastien
Manipulation au sein de l'Institut de génétique et de biologie moléculaire et cellulaire (IGBMC) © Pascal Bastien

« Le physicien imagine de nouveaux concepts et de nouvelles particules pour résoudre des problèmes qui sont souvent de nature expérimentale, observe Daniel Bloch, chercheur CNRS à l’Institut pluridisciplinaire Hubert-Curien (IPHC). Le boson de Higgs (ou son champ), par exemple, a été introduit pour expliquer comment les particules élémentaires acquièrent une masse. » La preuve de son existence, arrachée des entrailles du Cern (Organisation européenne pour la recherche nucléaire) en 2012, a permis de conforter la validité du Modèle standard. « Si on ne l’avait pas observé, toute la description actuelle des particules de matière aurait été remise en cause. Il aurait manqué quelque chose de fondamental ! » La physique semble ainsi avancer au gré des échanges entre l’expérimentateur qui découvre des phénomènes et le théoricien qui cherche à les expliquer et même à les prévoir. « L’un ne peut pas vivre sans l’autre, ils se guident réciproquement », assure Daniel Bloch. Si ce tiraillement perpétuel entre ce qui est théorique et ce qui est démontré est propre à la démarche scientifique, les sciences physiques semblent se démarquer par leur grand pouvoir prédictif. Pour Pierre Van Hove, également physicien à l’IPHC, cela n’est pas étranger à la part importante occupée par les mathématiques et les simulations informatiques en physique. « Grâce à ces outils, on peut introduire des objets hypothétiques, décrire leurs propriétés et prédire un certain nombre de phénomènes. »

Le virtuel ou l’inaccessible

Pour eux, il renvoie à ce qui est inaccessible plutôt que ce qui est hypothétique

Si l’existence de beaucoup de phénomènes reste à démontrer, peuvent-ils pour autant être qualifiés de « virtuels » ? Les physiciens manient ce terme avec précaution. Pour eux, il renvoie à ce qui est inaccessible plutôt que ce qui est hypothétique. « En physique, il existe des particules dites virtuelles qui, bien qu’indétectables, provoquent des phénomènes bien réels, indique Ulrich Goerlach, professeur en physique de particules à l’Université de Strasbourg. On parle aussi d’images virtuelles et d’images réelles. » Notre reflet dans un miroir semble provenir d’un sosie placé derrière le miroir. Ce sosie n’est pas accessible, aucun rayon lumineux ne vient de lui et le physicien le qualifie de virtuel contrairement, par exemple, à une image projetée sur un écran qui est dite réelle. « En physique, le mot virtuel n’est pas associé à l’existence, ou non, d’un phénomène », tient à souligner le chercheur. Prudence, donc. Virtuel ou non, toujours est-il que le potentiel de découvertes est encore grand en physique. A la moindre anomalie expérimentale, de nouvelles théories fleurissent. L’imagination du physicien, elle, n’est en rien virtuelle.

Simulation de la désintégration d'un boson Higgs réalisée au sein de l’accélérateur de particule du CERN © CERN PhotoLab
Simulation de la désintégration d'un boson Higgs réalisée au sein de l’accélérateur de particule du CERN © CERN PhotoLab

La matière noire pour expliquer une observation

En observant les étoiles des galaxies, les astronomes se sont rendu compte que la gravité produite par la matière observable n’était pas suffisante pour expliquer leurs mouvements. Ils supposent qu’une masse supplémentaire et invisible intervient dans les galaxies et leur confère un surplus de gravité : la matière noire. « Personne ne connaît sa nature, mais on est convaincu qu’elle existe », résume Ulrich Goerlach.

Ronan Rousseau