octobre 2017

Criblage virtuel : accélérer la découverte de molécules bioactives

Avec le criblage virtuel, ce sont (en partie) les algorithmes qui sélectionnent les molécules bioactives, potentiellement capables de soigner le cancer, les maladies dégénératives ou les douleurs chroniques. Cela se passe au Laboratoire d’innovation thérapeutique, pionnier dans ce domaine en Europe.

Didier Rognan (en chemise colorée) et son équipe © Catherine Schröder
Didier Rognan (en chemise colorée) et son équipe © Catherine Schröder

Dans la salle, les chercheurs, doctorants et étudiants, devant leurs ordinateurs, manipulent virtuellement les molécules modélisées en 3D. Certains chaussent leurs lunettes 3D, pour mieux voir la manière dont l’une, potentiellement intéressante, s’encastre dans une autre, une protéine impliquée dans le cancer par exemple. Trouver celle qui s’encastre le mieux signifie pouvoir identifier un principe actif capable d’inhiber la protéine responsable, et donc de soigner la pathologie… Voilà comment se virtualise, en partie, la recherche de médicaments. En partie, seulement, car une grosse part du travail reste tangible et expérimentale. Explications avec Didier Rognan, directeur adjoint du Laboratoire d’innovation thérapeutique (CNRS/Université de Strasbourg).

En quoi consiste le criblage virtuel ?

Il consiste à sélectionner et identifier des molécules bioactives par voie informatique. Nous disposons d’une base de données de 10 à 15 millions de molécules commercialement disponibles. C’est le panier de la ménagère dans lequel nous puisons. Il est impossible de les tester toutes expérimentalement, alors on les passe au crible : on définit les critères (forme, taille, structure…) selon les propriétés que nous recherchons, pour ne retenir que celles qui nous intéressent, environ 100 à 200. Et ce sont celles-ci que nous testons expérimentalement en laboratoire. L’originalité de notre équipe est d’être scindée en deux, une partie pour la recherche in silico, cette chimie théorique et virtuelle, et l’autre en chimie organique expérimentale.

Comment cela se déroule-t-il ?

Le point de départ, ce sont souvent des biologistes qui s’adressent à nous pour, par exemple, trouver une molécule capable d’inhiber une protéine impliquée dans une pathologie. Nous travaillons ainsi avec des laboratoires strasbourgeois (ESBS, IGBMC, IBMC1, Faculté de pharmacie), mais aussi l’Institut de neurosciences de Montpellier, de Grenoble, l’Université d’Oxford, et des laboratoires privés.

Les calculs sont réalisés au centre de calcul de l’Université de Strasbourg (mésocentre), ou à celui de l’institut de physique des particules du CNRS (IN2P3), là où sont menées les analyses des collisions de particules du Cern2.

Une fois identifiées comme molécules actives sur la protéine, nous les resynthétisons en laboratoire pour nous assurer de leur pureté et leur efficacité. Nous modifions leur structure pour obtenir des analogues qui pourraient avoir des propriétés encore plus intéressantes que la molécule de départ. L’idéal étant de parvenir à une molécule jamais décrite et donc brevetable.

La molécule bleue, repérée par criblage informatique parmi 3 millions de composés, présente un effet anxiolytique, antidépresseur et analgésique remarquable chez la souris et ouvre ainsi de nouvelles perspectives thérapeutiques. © Laboratoire d'innovation
La molécule bleue, repérée par criblage informatique parmi 3 millions de composés, présente un effet anxiolytique, antidépresseur et analgésique remarquable chez la souris et ouvre ainsi de nouvelles perspectives thérapeutiques. © Laboratoire d'innovation thérapeutique

Quel est l’intérêt de ce criblage virtuel ?

Il permet d’automatiser, d’accélérer la recherche et la découverte de molécules bioactives. Il n’y a pas de limite en termes de nombre de molécules pouvant être criblées. On peut en cribler informatiquement 10 millions en deux jours. Contrairement au criblage expérimental robotisé, qui suppose d’archiver et de stocker les molécules, de les conditionner sous forme de microplaques. C’est plus rapide et le taux de réussite est 100 fois supérieur.

Et sur le plan médical, quelles sont vos cibles ?

Le criblage virtuel peut s’appliquer à tous les champs thérapeutiques, mais nous avons trois spécialisations : le cancer, les douleurs chroniques et les maladies neurodégénératives. Nous intervenons en amont des industries pharmaceutiques. Nous défrichons le terrain en quelque sorte. Elles sont intéressées pour racheter la molécule une fois que son effet a été montré chez l’Homme.

L’année dernière, nous avons créé une start-up, Biodol therapeutics, pour continuer le développement d’une famille de molécules bioactives, identifiée par criblage virtuel, pour le traitement des douleurs chroniques.

La méthode est virtuelle, mais la base reste concrète, il s’agit de molécules existantes, répertoriées.

En effet, nous pourrions faire le même exercice avec des molécules qui n’existent pas. Nous ne le faisons pas, car l’intérêt de s’appuyer sur des molécules existantes est de pouvoir les commander facilement pour les tester expérimentalement. C’est très difficile, complexe et coûteux de synthétiser une molécule de toute pièce.

Quelles sont les perspectives ?

Nous pouvons rechercher des molécules actives sur des complexes de protéines, beaucoup plus spécifiques de la pathologie, ce qui permettra de développer des médicaments avec très peu d’effets secondaires.

La rapidité de calcul s’accroît d’une manière phénoménale. Nous pouvons mener des projets que nous jugions infaisables il y a cinq ans. Grâce à cela, nous pouvons rechercher des molécules actives sur des complexes de protéines, beaucoup plus spécifiques de la pathologie, ce qui permettra de développer des médicaments avec très peu d’effets secondaires.

1 Ecole supérieure de biotechnologie de Strasbourg, Institut de génétique et de biologie moléculaire et cellulaire, Institut de biologie moléculaire et cellulaire
2 Organisation européenne pour la recherche nucléaire

In silico

On parle de criblage virtuel, ou de criblage in silico. Le néologisme est apparu au début des années 1990 pour désigner les recherches effectuées au moyen de calculs et modèles informatiques. Par analogie avec les expressions in vivo, in vitro, in utero, in situ utilisées couramment en sciences, in silico fait référence au silicium des ordinateurs.

En chiffres

Ces méthodes de criblage virtuel sont apparues dans les années  1990-2000.

Il existe moins de 10 plateformes comme celle-ci au monde, dont 5 en Europe.

4 bases de données contenant 10 à 15 millions de molécules

Une vingtaine de criblages réalisés en 5 ans

Avec le temps de préparation et d’analyse des résultats, un criblage dure 3 mois en moyenne.

Stéphanie Robert