juin 2020

À la confluence

Présentation de cinq projets lauréats. Avec une question récurrente : comment, dans chaque structure, se décline l’interdisciplinarité ?

Grands projets, terrains inédits, défis sociétaux : autant d’enjeux de taille auxquels ces « projets d’excellence » seront confrontés. Pour y répondre, le sésame se trouve dans l’intitulé même : interdisciplinarité.

Bien des équipes de recherche travaillent d’ores et déjà sur des projets scientifiques qui impliquent de croiser des chercheurs venant de domaines variés et complémentaires. Mais si l’interdisciplinarité n’est pas nouvelle à l’université, elle est la règle pour les ITI.

Nous avons choisi de présenter quatre projets parmi les 15 ITI labellisés, ainsi qu’un projet « en accompagnement à l’effort de structuration ». Plus-value pour l’équilibre des équipes, interfaces naturelles, carrefour des sciences et des pratiques, ouverture des frontières, dépassement d’horizons paradigmatiques ou simple complémentarité fonctionnelle ? Le travail scientifique interdisciplinaire peut prendre des formes diverses, selon les thématiques de recherche, selon la façon dont les complémentarités vont pouvoir s’exprimer et selon leurs possibilités de mise en œuvre.

Croiser les arts et les disciplines

Francesco Arbo, professeur en musicologie. Crédit photo : Catherine Schröder/Université de Strasbourg

Pour Francesco Arbo, professeur en musicologie et coordinateur du Groupe de recherche interdisciplinaire sur l’acte musical et interartistique (GRIAMI), la transdisciplinarité consiste à faire travailler différentes disciplines sur un sujet commun. « C’était déjà dans l’air au sein du LabEx. Mais la nouvelle orientation expérimentale de ce centre de recherche et d’expérimentation de l’acte artistique se veut à la convergence à la fois des arts et des disciplines ».

Afin d’analyser l’acte musical dans toutes ses dimensions performatives et de diffusion, le GRIAMI veut favoriser le dialogue de savoirs extrêmement diversifiés, des mathématiques à la philosophie, de la musicologie à l’ethnographie, en passant par l’informatique, les neurosciences, la psychologie, le droit ou même la théologie. « On a élargi aussi à d’autres expressions artistiques que la musique, comme la poésie ou le design ». La confrontation entre savoirs et pratiques est au cœur du programme qui veut créer des liens académiques et artistiques sur le plan national et international. L’Université de Strasbourg va mener un projet de formation doctorale d’interprétation avec la Hochschule für Musik de Fribourg-en-Brisgau. Le GRIAMI, qui réunit une trentaine de chercheurs, toutes disciplines confondues, est labellisé ITI pour une période probatoire de quatre ans (2021-2024).

Formation et recherche : un tout

Mir Wais Hosseini, directeur du laboratoire de tectonique moléculaire. Crédit photo : Catherine Schröder/Université de Strasbourg

La chimie des systèmes complexes (CSC), basée sur les propriétés d’auto-organisation de la matière, trouve des interfaces naturelles entre la chimie, la biologie, la médecine, la physique ou encore la science des matériaux... Ses applications se situent dans des domaines diversifiés, autour de la santé, de l’environnement ou encore des technologies de l’information, en y apportant des réponses innovantes. « L’ITI-CSC est naturellement interdisciplinaire. Par ailleurs, l’Institut est centré sur des thématiques orientées vers la chimie de demain et qui donnent de gros atouts », explique Mir Wais Hosseini, directeur du laboratoire de tectonique moléculaire au sein de l’unité mixte de recherche Chimie de la Matière complexe (UMR7140 CNRS-Unistra) et coordinateur du programme. « Dans ce cadre, la formation et la recherche forment un tout, l’objectif principal étant de donner aux étudiants la possibilité d’intégrer à la fois le monde de la recherche et de l’industrie » Point crucial : établir une bonne jonction entre le master et le doctorat afin de préparer l’avenir de la chimie des systèmes complexes par la création « d’unités de recherche universitaires et industrielles composées de jeunes chercheurs d’excellence ». Le programme de l’ITI-CSC permettra donc d’avoir accès, dès le Master, à plus d’expérimentations, à davantage d’activités de recherche allant jusqu’à des stages de plusieurs mois. Y sera proposé aussi un choix de cours, en physique, ingénierie ou management, dont certains seront dispensés par des partenaires industriels.

Réduire les clivages

Catherine Schnedecker, professeure de linguistique. Crédit photo : Catherine Schröder/Université de Strasbourg

La plupart des LabEx axés sur les sciences du langage sont mono-disciplinaires. La Fédération de recherche de l’Institut du Langage et de la Communication (ILC) fait exception. Elle regroupe à Strasbourg un grand nombre de disciplines axées sur la compréhension du langage humain et animal, dans toutes ses dimensions. Y contribuent la psycholinguistique, les sciences de l’information et de la communication, la documentation, les sciences de l’éducation, l’orthophonie, mais aussi des secteurs plus éloignés tels que la sociologie, les neurosciences, la psychiatrie, la gérontologie et l’éthologie. La Bibliothèque Nationale Universitaire et l’Institut de Traducteurs, d’Interprètes et de Relations Internationales (ITIRI) y sont également présents. « Il s’agit d’un consortium d’un genre nouveau : nous travaillons par thématique plutôt que par projet. L’interdisciplinarité constitue une vraie plus-value car elle permet de réduire les clivages. Chaque membre peut éclairer différemment les objets d’étude ou en proposer de nouveaux », observe Catherine Schnedecker, professeure de linguistique au sein de l’unité de recherche Linguistique, langues et parole (Lilpa) et coordinatrice de l’ITI-ILC. L’ILC va ainsi effectuer des recherches selon trois axes principaux : le langage en évolution, la diversité des langues et les normes et pratiques déviantes, par exemple liés aux phénomènes de radicalisation. « On travaille sur des millions de mots, dans des corpus enrichis par annotation. Ce qui suppose d’avoir du matériel et d’importantes ressources humaines pour le travail technique ». La Fédération de recherche ILC n’a pas été labellisée ITI mais bénéficie d’un soutien spécifique de quatre ans dans le cadre d’un « accompagnement à l’effort de structuration ».

Sortir de son cadre

Hélène Michel, professeure de science politique. Crédit photo : Catherine Schröder/Université de Strasbourg

Les défis complexes posés par la société européenne, en matière d’inégalités, de mobilités des travailleurs, de mouvements de contestation ou encore de données de masse et de leurs implications, sont au cœur des questionnements posés par MAKErS (MAKing European Society – Faire l’Europe de demain), labellisé pour huit ans. « La question centrale est : qu’est-ce qui fait société en Europe ?, explique Hélène Michel, professeure de science politique et coordinatrice de l’ITI-MAKErS. Le but de MAKErS est de fournir des ressources, des analyses et des données sur la création et la dynamique de la société européenne ». Le programme de recherche, réunissant 126 chercheurs et enseignants-chercheurs en droit, économie, science politique et sociologie, a été élaboré dans un esprit résolument interdisciplinaire. « Dédiscipliner, c’est faire l’effort de sortir de son cadre et de s’intéresser à la façon dont une autre discipline aborde le même problème. » Autre enjeu, l’internationalisation : « La recherche a été socialisée par des disciplines ancrées dans les enjeux nationaux… il est important, maintenant, de dénationaliser ».

Adossé à la recherche, le plan de formation de l'ITI-MAKErS, concerne 17 parcours de Master de huit facultés et trois écoles doctorales, avec lesquelles des collaborations renforcées sont prévues. Il vise à donner aux étudiants les compétences nécessaires pour recueillir, manipuler et analyser des données comparatives sous leurs différentes formes.

Un assemblage de forces

Sylviane Muller, professeure d’immunologie thérapeutique. Crédit photo : Catherine Schröder/Université de Strasbourg

Le projet de l’Institut du médicament de Strasbourg (IMS) s’inscrit dans la continuité du LabEx Medalis. Il repose sur trois piliers : la recherche, l’enseignement et la valorisation et son équipe est dotée de compétences complémentaires. « Le but de l’Institut, c’est de développer, avec des technologies et des compétences avancées, des médicaments efficaces et adaptés. Le défi, c’est d’assurer toute la chaine, de la paillasse à la diffusion du médicament, en passant par le suivi des essais cliniques. C’est pourquoi il serait impossible de mettre au point des médicaments sans assemblage de forces », affirme Sylviane Muller, professeure d’immunologie thérapeutique et coordinatrice de l’ITI-IMS qui a été labellisé pour huit ans.

L’Institut est un parfait exemple de transdisciplinarité, au croisement de la chimie, de la biologie, de la médecine, de la pharmacologie et du droit. Le volet formation repose sur neuf composantes et des écoles doctorales, dont certaines sont spécifiques à la transdisciplinarité. Pratique déjà établie antérieurement à Medalis, les étudiants de Master effectuent des stages de six mois et des échanges d’étudiants se font avec des universités étrangères, à Berne, Québec ou encore au Japon. « Côté valorisation, nous favorisons l’émergence de partenariats et de binômes industriels-chercheurs : ce n’est pas parce que l’on est un bon scientifique que l’on sait développer un business. D’où la possibilité d’interactions avec des « business développeurs », afin de produire de la valeur pour nos recherches et aussi des interactions avec la société, notamment par la création d’emplois ».

Myriam Niss