Les sciences économiques s'intéressent aussi à l'intelligence artificielle. Stefano Bianchini, chercheur au Bureau d’économie théorique et appliquée (Beta), évalue son impact sur les équipes de recherche et la création des connaissances, avec des outils d'économétrie et d'apprentissage automatique. Ou comment étudier l'intelligence artificielle avec l'intelligence artificielle. Et naturelle.
En tant qu'économiste, pourquoi vous intéressez-vous à l'intelligence artificielle ?
Au Beta nous étudions l'économie de l'innovation et l'impact des nouvelles technologies, produits ou processus sur la société et l'économie. Aujourd'hui, nous voyons arriver une nouvelle vague technologique, générée par l'intelligence artificielle et ce nouveau paradigme, l'apprentissage profond (deep learning). Il bouleverse la société et les sciences, comme autrefois le moteur à vapeur, l'électricité ou internet. Je m'intéresse plus précisément aux effets de l'IA sur la production et la diffusion scientifiques*. Selon une étude américaine, la contribution de l'IA à l'économie mondiale sera de 13 000 milliards de dollars en 2030, en raison du gain de productivité et du changement dans la création et la diffusion des connaissances. Dans la littérature scientifique, il manquait une étude quantitative sur cet aspect.
Comment utilisez-vous l'intelligence artificielle pour étudier l’intelligence artificielle ?
Nous avions deux questions. L'IA change-t-elle la constitution des équipes de recherche, en taille, fonction, nature ou collaborations ? Facilite-t-elle la création de connaissances nouvelles et augmente-t-elle leur impact ? Notre premier défi était de définir le périmètre du deep learning. Pour cela, nous avons développé des algorithmes qui ont analysé les publications d'une base de données libre, arXiv. Ils ont appris d'une manière autonome à regrouper les textes en fonction de similitudes sémantiques et syntaxiques. Nous avons obtenu un lexique, généré par l'IA, pour sélectionner les publications ayant trait au deep learning dans le domaine médical sur Web of Science, la plateforme multidisciplinaire.
Vous avez ainsi un filtre plus pertinent, objectif et fin que s'il était fait par un être humain, qui a des représentations ?
Tout à fait. Nous avons ainsi sélectionné près de 50 000 publications qui utilisent l'IA, et environ 100 000 publications, de la même année, du même journal et du même domaine, mais qui n'utilisent pas l'IA, pour un raisonnement contrefactuel. Je tiens à souligner le travail exceptionnel de mes collaborateurs, Moritz Muller et Pierre Pelletier.
Et qu'avez-vous observé ?
Avec des outils économétriques, nous avons constaté que les auteurs sont significativement plus nombreux, les équipes plus multidisciplinaires et avec plus de collaborations internationales quand elles utilisent le deep learning. L’IA ne semble donc pas substituer des compétences humaines, au contraire, elle crée des synergies. Nous avons également observé des concentrations géographiques : nous voyons le rôle prépondérant de la France, de l'Allemagne et du Royaume-Uni en Europe, de la Chine et des côtes est et ouest des États-Unis. La Chine a beaucoup investi dans l'IA et sera probablement un leader. Nous voyons aussi la participation des entreprises privées dans la création des connaissances, comme Google, Samsung, Siemens. La frontière entre recherche publique et privée s'estompe en IA. Il nous reste à étudier, avec d'autres indicateurs bibliométriques, l'évolution dans le temps et la dynamique de ces tendances.
Le deep learning permet de recombiner les connaissances et d'élargir l'espace de recherche
En ce qui concerne la création des connaissances, qu'avez-vous constaté ?
La majorité des découvertes scientifiques est le résultat d'une recombinaison de connaissances existantes. Nous avons construit un indicateur pour mesurer cela : le nombre de combinaisons nouvelles dans les journaux cités en référence des publications et leur réutilisation ultérieure par la communauté scientifique. Si ces deux conditions sont remplies, la connaissance est considérée comme nouvelle. Notre analyse montre que les publications utilisant le deep learning ont 15% plus de chance d'être nouvelles que les autres. Et ces papiers ont 30% plus de chance d'être dans le top 1% des articles les plus cités de leur domaine. Cela suggère que l'IA augmente la création de connaissances nouvelles et leur impact scientifique. Nous pensons qu'elle accélère la production et la diffusion scientifique. Il s'agit notamment des domaines de l'imagerie médicale, la génomique, la santé électronique et connectée.
Est-ce que l'intelligence artificielle change la manière de faire de la science ?
C'est encore tôt pour le dire. Elle est un outil pour le chercheur, comme les systèmes experts dans les années 1980. La nouveauté est que le deep learning permet de recombiner les connaissances et d'élargir l'espace de recherche, et en cela, l’IA augmente les capacités créatives humaines.
* Projet ANR DInnAMICS.
- Louis, étudiant en mécatronique
« Je programme les ordinateurs pour leur apprendre à faire des tâches simples, à la place des humains. Il faut que les machines soient autonomes, le danger dépend du degré de liberté qu’on leur accorde, c’est cela qu’il faut contrôler. Il y a d’ailleurs les lois d’Asimov qui décrivent comment fixer le comportement des robots. »
- Daniel, étudiant en master 2 Sciences de la Terre
« Elle est utile pour l’avenir. Il faut étudier la manière dont elle fonctionne car ce n’est pas bien connu. Je l’utilise par exemple pour traiter une série de données de températures, pour étudier les comportements extrêmes. Impossible à faire sans l’intelligence artificielle. Il faut poser des limites pour éviter d’en perdre le contrôle. Je pense par exemple à la série Black Mirror, dans l’épisode où les abeilles “automatiques“ ont été déviées de leur but premier et ont tué tout le monde. »
- Yotla, étudiante en deuxième année de droit
« D’un côté je suis contre l’intelligence artificielle, car elle prend la place de l’Homme. Elle intervient partout, on gagne du temps de travail et en argent, mais elle remplace la main d’œuvre. En revanche, en médecine, c’est utile pour trouver des remèdes contre le cancer, cela permet de trouver le bon médicament pour chaque patient. »