Comment éviter que l’intelligence artificielle ne rende la banque et la finance opaques et arbitraires ? C’est à cette très vaste question que s’est attelé Thibault de Ravel d’Esclapon, spécialiste en droit des affaires.
À peine recruté à l’UMR Droit, religion, entreprise et société en septembre 2017, Thibault de Ravel d’Esclapon se lance, avec le soutien de l’Idex (Initiative d’excellence), dans un ambitieux programme de recherche. Avec l’aide de partenaires de poids, banques, fintech, université étrangère et l’appui technique du laboratoire ICube, il veut rédiger un livre blanc sur la nécessité – ou pas – d’encadrer l’intelligence artificielle dans le domaine bancaire et financier.
Les faits d’abord. Le premier concerne assez peu le commun des mortels. Mais il a une influence massive sur la marche économique et financière du monde. Aujourd’hui, des centaines de millions d’ordres boursiers sont donnés en quelques nanosecondes à partir d’algorithmes. Acheter du cacao, vendre du pétrole, vendre ou acheter telle ou telle action. Mieux, parce que l’algorithme a détecté que la valeur convoitée vaut quelques dixièmes de pourcent de moins à Hong Kong qu’à Londres, c’est à Hong Kong que l’ordre d’achat sera donné.
L’intelligence artificielle associée à la banque et à la finance pose d’abord la question de la protection des données
Second fait, qui cette fois nous concerne tous : notre conseiller bancaire reçoit chaque jour des centaines de mails de la part de ses clients. Souvent les questions se ressemblent : effectuer un virement, retarder un prélèvement, négocier un crédit… De plus en plus, c’est l’intelligence artificielle qui aide le banquier à apporter une réponse – presque – toute faite. Aux États-Unis et au Canada, le client pose même la question à un robot conversationnel (les fameux chatbots), qui répondra directement. C’est encore peu pratiqué en France, mais ça vient.
Les questions ensuite. Elles sont essentiellement d’ordre juridique et social. Comme partout, l’intelligence artificielle associée à la banque et à la finance pose d’abord la question de la protection des données. Pour abreuver les algorithmes, l’IA se nourrit de la masse des données bancaires de ses clients. La moindre des choses est donc de garantir que ces données ne partent pas ailleurs et ne soient pas utilisées par d’autres.
Autre question : les clients veulent comprendre comment fonctionnent ces algorithmes qui permettent à la banque de prendre ses décisions. Sans dévoiler de secrets d’affaires, peut-on envisager d’auditer les systèmes algorithmiques par des organismes de contrôle et de régulation indépendants ? Et puis il y a la question sociale : l’IA ne va-t-elle pas transformer de fond en comble le travail des employés des banques tant qualitativement que quantitativement ?
Les réponses enfin. « Nous ne sommes pas là pour proposer telle ou telle nouvelle loi ou règlementation, prévient Thibault de Ravel d’Esclapon. Nous sommes là pour aider la communauté bancaire à se poser les bonnes questions. » Il est donc plutôt question de définir les principes fondamentaux, qui permettront aux acteurs de construire une IA éthique. Ce que l’Union européenne appelle « l’IA digne de confiance ».
« Ça peut nous aider mais l’intelligence artificielle pourrait prendre le dessus sur nous. Si tout devient automatisé, on ne saura plus comment faire les choses de manière manuelle, ni réfléchir par nous-mêmes. Et en cas de bug informatique, ou de pertes des données numériques, il y a le risque qu’on ne soit plus capable de résoudre les problèmes tout seul, de revenir en arrière. »
- Tina, étudiante en sixième année de droit
« Je suis plutôt pour car cela facilite la vie de l’Homme. L’intelligence artificielle permet de traiter toutes les données que l’on peut recueillir, ça aide pour la recherche et l’innovation. Elle dépasse les capacités de l’humain et on ne la maîtrise pas forcément. Il faut l’utiliser à bon escient pour éviter les dérives. Développée à l’extrême, elle pourrait se doter d’une conscience, même si cela est un peu de la science-fiction. »