Nicolas Padoy* mène des recherches pour développer une nouvelle application de l’intelligence artificielle dans le domaine de la santé : la tour de contrôle des blocs opératoires. Explications.
Quel est le principe de cette tour de contrôle ?
Il s’agit d’utiliser l’intelligence artificielle comme un outil d’assistance aux processus chirurgicaux. Dans une salle d’opération aujourd’hui, on trouve de plus en plus de technologies : outils électriques, équipements de surveillance des patients, d’imagerie, caméras, etc. Ces évolutions techniques ont amélioré la qualité et la sécurité des soins, mais elles ont aussi complexifié les actes chirurgicaux car la masse de données à traiter est énorme. Or, l’IA est capable d’analyser rapidement différentes données venues de tous les équipements du bloc opératoire. Nous utilisons le deep learning pour que la tour de contrôle comprenne le langage de la chirurgie. L’objectif : qu’elle soit capable de décomposer les différentes étapes de l’intervention, d’identifier l’anatomie du patient, de localiser et d’analyser l’action des outils nécessaires à cette intervention.
Cette technologie pourrait améliorer la qualité des soins
Quels sont les avantages pour le patient et pour l’équipe médicale ?
En analysant les données des chirurgies précédentes, l’IA pourrait permettre d’éviter certaines erreurs. En France, sur plus de 6 millions de chirurgies pratiquées chaque année, on observe 60 000 à 90 000 événements indésirables graves jugés évitables. Une tour de contrôle intelligente permettrait d’instituer des points de contrôle automatisés à des étapes critiques de l’intervention chirurgicale. En donnant l’alerte, en améliorant la communication, l’utilisation des équipements et le suivi des processus, cette technologie pourrait améliorer la qualité des soins. Elle pourrait aussi apporter une meilleure sécurité à l’équipe médicale, par exemple en alertant si un écran de protection aux rayons X est mal placé, ou en veillant à mieux positionner un robot pour minimiser la quantité de rayons reçue par le praticien. Cette technologie peut également servir à la formation.
À quelle échéance cette tour de contrôle pourrait être opérationnelle ?
Notre objectif est de développer avec nos partenaires un prototype à l’Institut hospitalo-universitaire de Strasbourg (IHU) d’ici à cinq ans pour deux chirurgies : l’ablation de la vésicule biliaire (cholécystectomie) et le bypass gastrique. Développer cette innovation à grande échelle prendra beaucoup de temps car cela implique de standardiser les données et leur communication au niveau des hôpitaux. Chose impossible à obtenir sans la participation des hôpitaux et des entreprises qui produisent les équipements, les instruments et les blocs opératoires. L’un des défis sera aussi de l’appliquer à d’autres chirurgies. Cela devrait fonctionner sur les chirurgies standardisées, à condition d’avoir des données suffisantes. Concernant la cholécystectomie, nous avons utilisé 120 vidéos pour l’apprentissage. Chaque étape de l’intervention a été annotée à la main pour qu’ensuite, la machine les reconnaisse.
Une machine qui apprend et opère toute seule, ce n’est donc pas pour demain ?
Nous sommes encore très loin des systèmes digitaux qui apprennent de façon autonome, notamment s’ils doivent interagir physiquement avec l’environnement. Aujourd’hui, derrière chaque IA se cachent des données annotées. La main de l’Homme se trouve encore partout. La question est de savoir si demain nous pourrons exploiter ces mêmes données sans annotation, afin de développer des systèmes d’IA plus efficacement…
* Nicolas Padoy est professeur à Télécom Physique Strasbourg, après avoir été titulaire d’une chaire d’excellence en robotique médicale du laboratoire ICube. Il a créé et est reponsable du groupe de recherche Camma (Computational Analysis and Modeling of Medical Activities).