L’Europe est incontestablement le royaume des fake news. On ne compte plus les sujets de désinformations : déficit démocratique, passoire à migrants, fille cachée de la CIA ou du nazisme (si, si !)… L’université, en tant que productrice, détentrice et médiatrice de savoirs, a un rôle à jouer pour tenter de dégonfler ces innombrables baudruches. À Strasbourg, plusieurs universitaires relèvent le défi.
Déjà en 2015, Mathieu Schneider, vice-président Culture, sciences en société en partenariat avec la Ville de Strasbourg, avait lancé Les Grands débats de l’Université de Strasbourg. En cette année d’élections européennes, la thématique s’est imposée d’elle-même : « L’Europe en questions ». « Non seulement, nous voulons porter le débat, insiste le vice-président Culture, sciences en société. Mais nous voulons aussi montrer ce que l’Europe apporte concrètement au citoyen. » Cet hiver et ce printemps, entre 50 et 100 personnes se sont pressées à chacun de ces débats aux thèmes bien choisis : le Brexit, les lobbys, les valeurs européennes, la démocratie…
De leur côté, ce printemps, Fleur Laronze, enseignante à l’Institut d’études politiques de Strasbourg (IEP) et Philippe Gillig, enseignant à la Faculté des sciences sociales ont eux aussi choisi l’Europe comme thème central de leurs conférences initiées dans le cadre du programme L’Université en campagne contre les idées reçues.
« L’Europe est un corps fragile. Nous devons tous faire des efforts pour fabriquer de l’unité, pour dégager des compromis, pour éviter la vétocratie ! » Dans une des salles de la Maison de l’Europe, entre Conseil de l’Europe et Cour européenne des droits de l’Homme, Jean-Louis Bourlanges intervient dans le cadre des Grands débats de l’Université de Strasbourg. Sujet du jour : « L’Union européenne, quel modèle démocratique ? » Une soixantaine de personnes, dont une quinzaine d’étudiants, sont venues écouter le député français, ancien député européen, connu pour être un des hommes politiques les plus au fait des questions européennes.
Les débats ont lieu loin des amphis et des salles de cours universitaires, histoire de toucher d’autres publics
Jean-Louis Bourlanges ne le conteste pas : « L’Europe est un corps politique bizarre constitué de 27 – ou 28 ? – États souverains. » Pour autant, insiste-t-il, de réels progrès démocratiques ont été accomplis depuis le traité de Maastricht : « Le Parlement a obtenu deux pouvoirs considérables : il vote le budget et il participe à l’élection de la commission et de son président. » A l’issue de l’intervention, deux étudiants de l’IEP, Juliette et Martin, lancent le débat : « La vague populiste semble contagieuse, les démocraties illibérales menacent-elles l’Europe ? » Réponse du député : « L’Europe, ça a toujours été un combat. Aujourd’hui le vrai défi de l’Europe, ce sont ses compétences. Elle n’en a pas assez. L’Europe doit cesser d’être la mouche du coche. Nous devons transformer la chrysalide en papillon. »
Fleur Laronze et Philippe Gillig ont lancé L’Université en campagne contre les idées reçues en 2017. Une fois tous les mois et demi, ils organisent une conférence débat sur un thème d’actualité, générateur d’idées reçues. En déjà presque deux ans, les sujets n’ont pas manqué : les ordonnances travail, l’immigration, l’égalité femme-homme, les aides sociales…
À chaque fois, et c’est sans doute un des intérêts principaux de la démarche, les débats ont lieu loin des amphis et des salles de cours universitaires : aux centres sociaux-culturels de Hautepierre ou de Koenigshoffen, au centre d’action sociale et familiale de Bischwiller, à l’espace culturel de Vendenheim, au lycée Robert-Schuman d’Haguenau… Histoire de toucher d’autres publics : les lycéens, les habitants des quartiers, les ruraux. « Nous voulons rendre l’université plus accessible, explique Fleur Laronze. Nous voulons faciliter l’accès à la connaissance scientifique. »
En ce début de 2019, année électorale oblige, deux sujets européens ont été retenus : « L’Europe, outil néolibéral ou protecteur ? » et « L’Europe, frontière ou passoire ? » Sur ce dernier thème, les idées reçues suivantes ont par exemple été décortiquées : les immigrés sont des étrangers ; les immigrés viennent en Europe pour profiter des prestations sociales ; l’Europe fait face à une vague d’immigration sans précédent… « Nous voulons orienter des publics désorientés, insiste Philippe Gillig. Nous mettons à leur disposition des sources fiables d’information, tels que les très nombreux travaux universitaires sur tous ces sujets. »