« Le temps n’est pas l’objet de l’historien, mais son matériau », affirme Isabelle Laboulais, professeur d’histoire moderne.
Et un sacré matériau, auquel il convient de prêter attention... dans toutes ses dimensions ! Car quel que soit l’objet de son étude, l’historien est amené à le définir dans l’ensemble de ses temporalités. Qu’il s’agisse d’une biographie, de l’étude d’une période de guerre, de l’analyse de l’évolution des prix à une époque donnée ou encore de l’histoire du théâtre. Dans tous les cas, l’analyse va se retrouver confrontée à différentes sortes de temps. Le « temps court » est celui de l’événement tel que l’abordait l’histoire traditionnelle, celui que l’historien Fernand Braudel (1902-1985) appelle « une agitation de surface ». L’événement doit aussi être replacé dans la « longue durée », c'est-à-dire dans un temps presque immobile, celui, dit encore Braudel, où « se définissent les rapports traditionnels de l'homme avec le milieu et qui permet d'appréhender la notion de civilisation ». Enfin, l’historien est amené à prendre en compte un « temps intermédiaire », conjoncturel et cyclique. « L’enjeu consiste donc à savoir emboîter ces différents temps les uns avec les autres », précise Isabelle Laboulais.
Déchiffrer un événement historique, c’est donc aussi avoir en tête les temps qui l’environnent et savoir comment l’y insérer.
Déchiffrer un événement historique, c’est donc aussi avoir en tête les temps qui l’environnent et savoir comment l’y insérer. « Ce serait appauvrir le propos que de se limiter à rechercher les causes et les filiations dans le temps, prévient la chercheuse. Saisir la genèse d’un événement ne suffit pas à l’expliquer : il faut aussi savoir le resituer dans sa contemporanéité, comprendre les conditions qui l’ont rendu pensable et possible à un moment donné ». La prise de la Bastille ne suffit pas à expliquer la Révolution française, pas plus que la prétendue faiblesse de Louis XVI ou la réputation frivole de Marie-Antoinette. La Révolution française « a la particularité d’avoir constitué un présent immédiatement historicisé » : une première histoire de la révolution n’a-t-elle pas été éditée dès le printemps 1789 ?
Les travaux d’Isabelle Laboulais portent sur les premiers ingénieurs des Mines, nommés pendant la Révolution française. « Examiner l’impact du surgissement révolutionnaire au regard du temps individuel et du temps collectif ne suppose pas seulement de rassembler des récits dramatiques ou anecdotiques qui mettraient en lumière la manière dont les acteurs ont ressenti les événements ; cette démarche impose de s’interroger sur la manière dont les changements politiques autant que sociaux et culturels ont agi sur leurs trajectoires individuelles. »
Myriam Niss
Intervention de Isabelle Laboulais (Arts, civilisation et histoire de l’Europe) lors du colloque interdisciplinaire « Temps ».