L’avènement du virtuel pose-t-il de nouvelles questions en droit ? Faut-il de nouvelles règles ? Eléments de réponse en matière de droit d’auteur avec Stéphanie Carre, maître de conférences au CEIPI*, spécialiste en droit d’auteur et des nouvelles technologies.
Les nouvelles modalités de création et de diffusion, issues du numérique et du virtuel, posent de nouvelles questions en matière de droit d’auteur, ou plutôt, les renouvellent. Par exemple, qui est titulaire des droits d’une œuvre collaborative, écrite à plusieurs, dont certaines briques sont issues de licences libres (creative commons) ? Les plateformes d’échange (Dailymotion, Facebook…) sont-elles responsables de la reproduction et de la communication des œuvres postées par les internautes ? Qu’est-ce qu’une interface logicielle en droit ? Un fichier pour imprimer un objet en 3D ? Un algorithme peut-il être protégé ? Ou la création d’un robot qui apprend lui-même ? S’agit-il d’une œuvre ? Le robot en est-il l’auteur ou celui qui crée l’algorithme ?
« Le Code civil date de 1804 et, malgré l’évolution des mœurs et des techniques, on y trouve des réponses. Une tendance actuelle est de créer de nouvelles lois rapidement (Adopi par exemple) mais une partie des réponses se trouve dans le droit actuel même si le législateur n’avait pas prévu que des réseaux sociaux allaient exister », souligne Stéphanie Carre.
La loi ne peut pas ignorer les évolutions culturelles, sociales et économiques, et doit s’y adapter.
Pour autant, la loi ne peut pas ignorer les évolutions culturelles, sociales et économiques, et doit s’y adapter. Ainsi, les lois « Création » et « Pour une république numérique » de 2016 ont défini des évolutions sur la rémunération des artistes interprètes et apportent certaines réponses concernant les plateformes d’échange.
« Les modes de création et de diffusion évoluent sans que cela implique nécessairement un changement de paradigme. Le modèle est cependant perturbé et certaines évolutions juridiques, législatives ou jurisprudentielles laissent penser qu’un changement de paradigme est en cours », estime la juriste. Ce changement semble relatif à la culture du partage, allant de pair avec l’avènement du numérique et du virtuel : partage de contenus sur internet, économie collaborative, logiciels et licences libres…
Par exemple, la réforme des lois relatives aux œuvres orphelines (2015) ou aux œuvres indisponibles (2012) « semblent fondées sur une sorte d’impératif de l’accès aux œuvres à l’ère du numérique », remarque Stéphanie Carre. Si l’auteur est inconnu ou ne peut être retrouvé, les institutions culturelles (bibliothèques, musées…) peuvent exploiter l’œuvre sans l’autorisation de l’auteur pour la rendre accessible à tous. De même, si une œuvre n’est plus exploitée commercialement, elle sera inscrite sur un registre et un organisme de gestion collective donnera le droit à tous de la transformer pour qu’elle soit accessible numériquement.
« Aujourd’hui comme hier, il faut comprendre que le droit, les règles applicables, ne sont que le reflet, la traduction de choix politiques et de modèles économiques et sociaux »
On considère en France que toute exploitation de l’œuvre est soumise aux droits d’auteur, par principe. Aujourd’hui, certains revendiquent le fait de pouvoir différencier une exploitation réellement commerciale (qui doit continuer de relever d’une autorisation préalable de l’auteur), de représentations qui seraient davantage à finalité sociale, non soumises aux droits exclusifs de l’auteur. « Aujourd’hui comme hier, il faut comprendre que le droit, les règles applicables, ne sont que le reflet, la traduction de choix politiques et de modèles économiques et sociaux », nous rappelle la juriste.
* Centre d’études internationales de la propriété intellectuelle