Partager les données issues de la recherche publique, oui, mais quid des données acquises en partenariat avec un industriel ? La science ouverte est-elle compatible avec le secret industriel ? Le point de vue de Frédéric Masson, directeur de l’École et observatoire des sciences de la Terre (Éost), et de Caroline Dreyer, directrice de Conectus (1).
« De plus en plus et quasi systématiquement, les données acquises avec un financement public vont finir dans le domaine public. Les chercheurs sont incités, voire contraints, à les rendre accessibles en ligne. » Pour Frédéric Masson, directeur de l’Éost, les données publiques sont évidemment celles de l’Observatoire des sciences de la Terre, service financé par le CNRS et l’Université de Strasbourg, pour qu’elles soient accessibles à la communauté scientifique internationale, mais aussi les données expérimentales de la recherche publique. « Toute donnée acquise avec de l’argent public qui est publiée dans une revue scientifique doit être publique. »
Qu'en est-il des travaux cofinancés par un industriel ? C'est plus épineux, car si la vocation des chercheurs est de publier, l'intérêt des industriels est plutôt de protéger les données de la possible concurrence. C'est, par exemple, le cas des recherches en géothermie profonde. « La donnée peut appartenir à l'industriel et dans ce cas, nous devons avoir son autorisation pour publier. Qui est propriétaire de la donnée ? Celui qui finance l'équipement ou celui qui effectue les mesures ? La propriété, l'utilisation et le devenir des données doivent se négocier dès le départ dans un contrat. C'est au cas par cas. Là, il faut prendre l'habitude de s'appuyer sur des services compétents. » Et ces compétences, ce sont celles de Conectus. Avec son expertise juridique et scientifique, elle intervient à ce niveau pour négocier les contrats avec les industriels.
« À partir du moment où les entreprises collaborent avec la recherche publique, elles savent que la publication fait partie des règles du jeu. »
« Que ce soit dans le cas des contrats de partenariat avec les entreprises ou de l'investissement dans des brevets et le transfert de technologies, nous échangeons avec les chercheurs, pour évaluer si leurs travaux doivent être protégés par le biais d'un dépôt à l'INPI2 (brevet, marque, dessin et modèle…). Une fois qu'ils sont protégés, il peut y avoir communication et publication », indique Caroline Dreyer, directrice de Conectus. « Si les travaux sont publiés avant, l'invention n'est plus nouvelle, selon les critères des brevets, et nous ne pouvons plus engager de démarche de protection. Il faut protéger d'abord, et ensuite on peut publier sans problème. » Tous les domaines sont concernés : chimie, sciences de l’ingénieur, sciences humaines, sciences de la vie, mathématiques, etc.
Dans le cas des brevets, un délai de 18 mois existe avant qu'il ne soit rendu public, un contrat de confidentialité avec l'entreprise est alors signé pour sécuriser les échanges. Ces accords vont dans les deux sens, ils protègent aussi l'entreprise de la diffusion de données jugées confidentielles.
Les entreprises peuvent-elles empêcher les publications, pour cause de secret industriel ? Elles le pourraient, mais c’est très rare, selon Caroline Dreyer, car « à partir du moment où elles collaborent avec la recherche publique, elles savent que la publication fait partie des règles du jeu. Celle-ci peut aussi participer à leur développement. La négociation se joue davantage sur les délais : les industriels essaient souvent de différer la publication pour qu'ils puissent conserver de l'avance sur le développement d'un produit, et nous essayons de le raccourcir. » Comme le souligne Alain Wagner, directeur du laboratoire Conception et application de molécules bioactives, cela ne représente qu’une part minime des travaux des laboratoires, « il n’y a aucune raison pour ne pas partager tout ce qui est financé par les organismes gouvernementaux ».
1 Société d'Accélération du Transfert de Technologies. Depuis cet entretien, Caroline Dreyer a été élue présidente de la Satt.
2 Institut national de la propriété industrielle