juin 2020

Que dit la crise du Covid-19 de l’Europe ?

Le monde a expérimenté avec le COVI19 sa vulnérabilité, dans l’intimité même de son mode vie et pour sauver rien moins que sa santé. La pandémie n’est pas une crise de la mondialisation mais bien plutôt l’intériorisation de ses limites dans notre vécu quotidien, pour une grande partie de l’humanité au même moment. Situation radicalement nouvelle. Le virus met à nu avec une particulière violence la vulnérabilité de l’Etat autant que celle de l’Union européenne à cause du simple mouvement de la population. Et c’est là que les choses se compliquent parce que cette libre circulation est l’ADN de l’Union.

Frédérique Berrod, agrégée de droit public et professeure à l’Institut d’études politiques de Strasbourg. Crédit photo : Catherine Schröder/Université de Strasbourg

Pour retrouver un sens à l’Europe, il faut poser une question qui a été juridiquement une évidence depuis la fin de la guerre : la libre circulation est-elle bénéfique pour la collectivité des citoyens ? Très souvent oui ; mais pas toujours. Le droit doit incorporer ce questionnement et le citoyen doit apprendre à poser cette question avant toute décision de politique publique puis pendant son évaluation. Le localisme a aussi un coût économique et social que chacun doit accepter parce qu’il diminue la dépendance collective et assure un intérêt essentiel.

Revenir à une production localisée sera nécessaire pour ne pas être exclusivement dépendant de l’extérieur pour des activités essentielles. Il faut ajouter le localisme dans l’équation des possibles. L’Union ne fait pas autre chose quand elle développe les éoliennes, qui sont les moulins d’une production indigène, dont le développement est la seule manière de faire baisser la dépendance de l’Europe à des sources de pétrole et de gaz qui se trouvent hors de ses frontières. La question doit se poser de la même manière pour la production agricole, les industries stratégiques, le développement de la recherche, l’organisation des enseignements, ou la simple convocation d’une réunion pour que l’Europe conserve son autonomie du survie.

Jacques Delors, dont la parole est devenue trop rare, déclarait le 28 mars dernier que le manque de solidarité entre les États membres fait courir à l’Europe un danger mortel. L’interdépendance socio-économique développée depuis 1950 n’a pas mécaniquement généré la solidarité. L’Union doit rechercher le sens du collectif, qui ne peut plus être réduit à la seule mise en tension de l’intérêt général de protection de la santé avec le fonctionnement des libertés de circulation.

Revenir à une production localisée sera nécessaire pour ne pas être exclusivement dépendant de l’extérieur pour des activités essentielles.

L’Europe doit assumer d’être l’espace politique pour penser une interdépendance solidaire. Il faut pour cela commencer par admettre que la solidarité se construit. Sur des valeurs communes ; oui, mais cela ne suffit plus. Il faut inscrire l’interdépendance dans toutes les politiques publiques pour donner un sens politique au développement que la crise impose de penser durable. Le développement économique et humain ne peut plus être pensé dans une expansion continue ou même dans des solutions universelles. Le confinement ne peut et ne doit pas signifier la même chose au même moment pour tout le monde, ce qui valorise la décision localisée. Le déconfinement - la désescalade des mesures restrictives de liberté, favorise une régionalisation du marché intérieur et des politiques nationales. Mais la solution n’est pas de revenir à la priorité au national. Il faut donner sa pleine mesure à la coopération transfrontalière. Penser l’Union européenne d’après le virus, c’est accepter l’acquis des solidarités de fait qui existent, donc de considérer entre l’Alsace et le Baden-Württemberg la gestion de la frontière pour éviter la propagation du virus ; et pas une gestion par un pays qui se lève un beau matin en découvrant des policiers voisins barrant le chemin du tram transfrontalier.

L’Union européenne doit apprendre à raconter ce choix du libre échange pour mieux penser sa résilience aux autres crises pandémiques. Il faudra qu’elle décide explicitement une hiérarchisation de ses priorités politiques, dont la place du Green Deal, pour échapper à leur systématique mise en équilibre que le droit européen opère par la technique de la proportionnalité. L’interdépendance est tout autant nécessaire qu’avant le virus, mais elle doit être choisie et assumée dans un monde fini et qui ne peut être indéfiniment exploité.

Ce qui renvoie à la décision particulièrement délétère de la Cour constitutionnelle allemande : le problème n’est pas de savoir si l’intervention de la Banque centrale est proportionnelle à la crise économique mais de savoir ce que peut faire cette institution majeure pour sauver l’intégration européenne.

Frédérique Berrod, agrégée de droit public et professeure à l’Institut d’études politiques de Strasbourg