En décembre 2019 étaient rapportés à Wuhan, en Chine, les premiers cas d’une nouvelle forme de pneumonie, la COVID-19 (coronavirus-induced disease) . Dès le 5 janvier 2020, le germe infectieux, un virus baptisé SRAS-CoV2, était identifié. Malheureusement, il s’était déjà largement répandu en Chine et à l’étranger, à la faveur d’un scénario catastrophe : virulence importante ; contamination par les voies respiratoires ; source dans ville densément peuplée et carrefour de communication ; à la veille du Nouvel An chinois, grande période de déplacements.
Le SRAS-CoV2 a donc plus bénéficié de circonstances extrêmement favorables que d’un effet surprise. De la famille des coronavirus, connue depuis la fin des années 1960, c’est le 7ème de cette famille capable d’infecter les humains. Responsables de 10 à 30% des rhumes chez l’Homme, ces virus n’étaient pas considérés comme des menaces sévères avant 2003. C’est là qu’est apparue, en Chine déjà, le Syndrome Respiratoire Aigu Sévère, causé par le SRAS-CoV, proche cousin du SRAS-CoV2, suivi en 2012, du MERS-CoV, cause d’une autre maladie grave, le Middle East Respiratory Syndrome. La dissémination de ces virus avec des taux de mortalités de 10 à 30% a pu être contrôlée et limitée à l’Asie et au Moyen-Orient. Les coronavirus sont des virus à ARN de polarité positive : leur patrimoine génétique est composé d’acide ribonucléique (ARN), pouvant être directement traduit en protéines virales par la machinerie cellulaire. Une de leur particularité est de pouvoir recombiner leur génome avec celui d’autres coronavirus, créant ainsi des virus dotés de nouvelles propriétés. C’est probablement ce qui explique les sauts d’espèces et l’apparition soudaine de ces virus chez l’Homme.
Les progrès effectués en quelques mois sont en effet spectaculaires et doivent inciter à l’optimisme.
Si le danger des coronavirus est connu depuis 2003, pourquoi le SRAS-CoV2 a t’il semblé nous prendre par surprise ? L’absence de conséquences dans nos pays des alertes précédentes (SRAS en 2003, H1N1 en 2009, MERS en 2012, Ebola en 2014) a pu entraîner une baisse de vigilance, mais les caractéristiques de l’infection par le SRAS-CoV2 expliquent aussi les tâtonnements des premières semaines. En effet, si le virus peut infecter les cellules de l’épithélium pulmonaire, comme le SRAS-CoV et le MERS-CoV, contrairement à eux, il infecte en premier lieu les cellules des voies aériennes supérieures (nez et gorge) créant des symptômes similaires à un rhume. Ces manifestations bénignes ont pu laisser croire que le SRAS-CoV2 ne représentait pas une menace sévère, alors que quand il s’attaque aux cellules pulmonaires il est aussi redoutable que ces deux prédécesseurs. Il peut également affecter d’autres organes vitaux (cœur, reins, intestins), soit en s’y multipliant, soit sous l’effet de la production massive de cytokines associée à une réaction immunitaire excessive. La multiplication du SRAS-CoV2 dans le nez et la gorge facilite en outre sa dissémination dans l’environnement. Ainsi, la transmission du SRAS-CoV2 est beaucoup plus efficace que celle du SRAS-CoV et du MERS-CoV, qui ne survient qu’après l’établissement des symptômes. En résumé, le SRAS-CoV2 combine (i) les propriétés des coronavirus bénins causant des rhumes et possédant un pouvoir de dissémination important et (ii) la létalité des virus du SRAS et du MERS : cela fait de lui un ennemi redoutable.
Nous viendrons cependant à bout du SRAS-CoV2, même si les modalités restent à préciser. Les progrès effectués en quelques mois sont en effet spectaculaires et doivent inciter à l’optimisme. Citons l’identification du virus grâce au séquençage à haut débit en 10 jours, qui a permis les tests PCR (Polymerase Chain Reaction) pour détecter la présence du virus. Ceci a ouvert la voie à l’identification rapide des personnes infectées et à l’interruption des chaînes de transmission par leur mise en quatorzaine. Des essais thérapeutiques prometteurs sont aussi en cours, agissant sur le virus (remdesivir, déjà utilisé contre d’autres virus) ou modulant l’activation incontrôlée du système immunitaire (inhibiteurs des récepteurs de cytokines). Outre le repositionnement de molécules déjà connues, les chercheurs sont aussi mobilisés pour mieux connaître le virus SRAS-CoV2 : quelles sont les structures et les fonctions de ses protéines ? De quels facteurs cellulaires a t’il besoin ? Peut-on les inhiber ? Pourquoi et comment active-t-il les tempêtes de cytokines ? Les stratégies évoquées permettront de venir à bout de l’épidémie, mais il faudra maintenir un effort de recherche sur les coronavirus. Après 2003, 2012 et 2020, il est clair que nous serons tôt ou tard à nouveau confrontés à ces tueurs encore mal connus.
Jean-Luc Imler, directeur de l’Institut de biologie moléculaire et cellulaire et directeur de l’UPR - 9022 Réponse immunitaire et développement chez les insectes.