Quelles conséquences, évidentes ou insoupçonnées, imprime de sa marque le temps aux ouvrages ? Quelles réponses y apporter, et selon quelle logique ?
Champignons, moisissures, insectes, inondation, incendie… Autant de risques auxquels sont exposées les collections de fonds anciens. Heureusement, poussière, lumière, manipulations et conditions climatiques instables sont les plus courants. Pour y faire face, trois missions forment à parts égales le quotidien du conservateur-restaurateur. « La conservation préventive, consistant à prendre des mesures pour influer sur l’environnement de conservation, nous permet d’agir à une échelle très large, détaille Thierry Aubry, responsable de l’atelier de conservation-restauration de la Bibliothèque nationale et universitaire (BNU). Conservation curative (application de traitements pour stabiliser un document à l’état de dégradation avancée) et surtout restauration, à l’aide de pinceaux, gommes et autres colles, prennent davantage de temps. » Au sein de la BNU, ils sont quatre, en charge d’un fonds de 1,1 million de monographies, thèses, manuscrits…. Sont considérés comme anciens les documents datés d’avant 1920.
Malgré toutes les mesures de prévention, parmi lesquelles l’usage de boîtes en carton sur-mesure pour limiter les frottements dans les rayonnages, une restauration s’avère parfois indispensable « pour assurer la valorisation et la transmission de l’œuvre, dans le cas d’une exposition, par exemple », ajoute Thierry Aubry. Une restauration éthique se doit d’être discernable à l’œil nu. « Sinon on est dans le travail du faussaire. Sur ce point, la conception du métier de restaurateur a beaucoup évolué au fil des siècles. Les premières formations ont vu le jour il y a une trentaine d’années, ce qui est dérisoire à l’échelle de ce patrimoine. »
Aujourd’hui, les ressources offertes par le numérique constituent une opportunité formidable en matière de transmission. Pionnière, l’Unistra compte déjà plus de 5 000 documents accessibles via le portail de sa Bibliothèque numérique patrimoniale. Une histoire en train de s’écrire au XXIe siècle, qui trouvera son prolongement naturel avec le futur Studium, la bibliothèque nouvelle génération prévue pour 2019.
Thierry Aubry a récemment eu entre ses mains cet ouvrage du XVe siècle : « Au XIXe siècle, on a déposé [retiré, N.D.LR.] une partie de son matériau de couvrure (sur le dos du livre), remplacé par un cuir orné au goût du siècle. » À l’époque, la conception de l’architecte Violet Le Duc d’un Moyen-Âge idéalisé est très populaire. « On a donc un premier objet originel, puis un second, avec cette première restauration. Cette histoire doit être prise en considération, et dans ce cas précis, le restaurateur du XXIe siècle, par son intervention − la plus minimaliste possible − doit s'abstenir de donner naissance à un troisième objet et conserver cet héritage du passé, destiné au futur. La conservation curative ou la restauration ne doivent en aucun cas être une négation du temps qui passe, mais un compromis entre ces temporalités. »