octobre 2016

L’autostoppeur avait 240 millions d’années

Ce fossile issu des collections de l’Unistra permet de remonter le temps et de décrire l’instantané d’une empreinte. Décryptage avec le géologue et paléontologue, Jean-Claude Gall.

Regardez bien cette empreinte, en haut de l’image : on dirait une main d’autostoppeur. Elle est conservée à la surface d’une dalle de grès d’un peu plus de 2 mètres découverte en Thuringe à la fin du XIXe siècle. Elle appartient aux collections géologiques de l’Université de Strasbourg et est actuellement exposée au château du Lichtenberg. Jean-Claude Gall, professeur émérite de géologie et paléontologie de l’Université de Strasbourg, nous aide à décrypter le fossile. La roche est un grès du Trias inférieur, issu de l’altération d’un ancien massif granitique. La scène se situe entre un avant et un après. C’est l’âge relatif. L’avant, ce sont les couches déformées d’une chaine de montagne en cours de nivellement. L’après, ce sont des dépôts marins. « Un animal a marché sur une vase en train de s’assécher. Il a laissé des empreintes en creux, qui ont été ultérieurement recouvertes par du sable amené par l’eau. Les empreintes sont maintenant en relief. » Selon l’échelle des temps géologiques, le grès date la scène : on se situe à moins 240 millions d’années.

En même temps, si ce fossile se place dans une histoire globale, il décrit aussi une histoire instantanée. « Sur d’autres échantillons, on distingue des traces d’écailles. Ensuite, parmi les cinq ou six empreintes, on reconnait deux tailles : les grandes sont celles des pattes postérieures, les petites sont celles des pattes antérieures. Leur écartement donne la taille de l’animal : environ deux mètres de long. Enfin, on observe un sillon entre les deux rangées d’empreintes, donc l’animal avait une queue. » Alors qu’on n’a jamais retrouvé son squelette, le géologue peut tirer le portrait-robot de l’animal : « C’était une sorte de gros lézard, un Chirotherium, dont on sait qu’il était fréquent à cette période de l’ère secondaire. » Affinons encore l’observation : « On voit en relief des remplissages de fentes de dessiccation, comme le L inversé sous la trace du haut, qui racontent que l’animal est passé sur une surface argileuse craquelée par l’assèchement de la flaque d’eau. Et à gauche de la trace du haut, on aperçoit une autre petite trace de griffe. Un petit animal a croisé la piste de notre gros lézard. » Et voilà comment l’expert visualise de façon certaine un très bref instant de l’histoire de la Terre : une scène de vie d’un Chirotherium, il y a 240 millions d’années.

Jean De Miscault