Telle une valse à trois temps, la littérature vibre du temps de l’action, du temps du récit, mais aussi du temps de l’œuvre. Musique !
La littérature est irréductiblement attachée au temps : non seulement elle le raconte, mais en plus elle le subit
À l’origine de la littérature, il y a presque toujours une histoire orale racontée de génération en génération, en train de se perdre et qu’il faut sauver d’urgence en la couchant par écrit. « Prenez L’Iliade et L’Odyssée ou les chansons de geste du Moyen-Âge, raconte Luc Fraisse, professeur de littérature française à l’Unistra : il s’agit de se dépêcher d’écrire avant qu’un patrimoine ne disparaisse. C’est bel et bien une lutte contre un aspect du temps, qui est la perte. » Comme la musique, la littérature est irréductiblement attachée au temps : non seulement elle le raconte, mais en plus elle le subit. La chronologie du temps varie bien sûr, selon les auteurs, les époques et les genres littéraires.
Une des lois intangibles du roman est ainsi celle du secret différé : c’est la base de l’intrigue. La durée du récit variera entre Une journée d’Ivan Denissovitch d’Alexandre Soljenitsyne et Une vie de Maupassant. Le théâtre préfère le temps suspendu, découpé, « les 24 heures du théâtre classique, précise Luc Fraisse, raccourcies en 2 heures. » Tandis que la poésie s’attache le plus souvent à l’instant : « Un ici et maintenant qui n’a pas nécessairement besoin du temps. » Mais si la littérature raconte le temps, encore faut-il prendre le temps de la raconter. Et quelquefois l’histoire va plus vite que la musique. « Ainsi, à la fin d’Electre de Giraudoux, se souvient Luc Fraisse, le mendiant n’a pas fini de raconter la mort d’Egisthe, qu’on entend ce dernier pousser son dernier cri au-dehors, et le mendiant ne peut que constater son retard : “J’ai raconté trop vite. Il me rattrape.“ »
Mais si le temps est au cœur du récit, la littérature n’échappe pas pour autant à l’épreuve du temps. Il y a le temps de l’installation de l’œuvre, puis vient le purgatoire et enfin - pas toujours - le temps de la postérité. « Nerval, rappelle Luc Fraisse, a été oublié pendant presque un siècle. Pour les plus grands auteurs, la postérité nous rapproche d’eux : on pénètre alors au cœur de l’œuvre.» C’est le temps de l’universalité.
Jean De Miscault
Intervention de Héloïse Perbet (laboratoire Linguistique, langues et parole) lors du colloque interdisciplinaire « Temps ».
« Les gens achètent des livres qu’ils ne lisent plus ou mal, regrette Peter Schnyder, professeur émérite en littérature française et francophone à l’Université de Haute-Alsace. La vélocité devient la règle : tout doit aller très vite. C’est incompatible avec le temps lent de la lecture. La littérature retranscrit la dimension humaine du temps. Elle le rend visible. A l’inverse, internet donne l’image d’un monde horizontal : le passé n’existe pas. Internet ne rend pas visible l’épaisseur du passé. »