octobre 2016

Les temporalités de l’image

Le cinéma est peut-être l’art qui entretient le rapport le plus complexe au temps. De la durée d’un tournage au rythme du montage, jusqu’au temps de la réception d’un film, le septième art déploie différentes temporalités qui lui sont propres.

Qu’est-ce qu’un film ? Une succession d’images (en principe, 24 ou 25 par seconde) qui se déroulent dans une certaine durée. Et qu’il s’agisse d’un blockbuster hollywoodien ou d’un chef d’œuvre d’Akira Kurosawa ou d’Andreï Tarkovski, c’est toujours un moment durant lequel le spectateur est invité à vivre une expérience du temps. « Se saisissant d’une question, le cinéma invente une forme propre pour dire quelque chose d’une époque. Il rend compte d’une expérience du temps sans passer par la pensée discursive », explique Benjamin Thomas*, maître de conférences en études cinématographiques et spécialiste du cinéma asiatique.

L’image cinématographique comme une momie du changement

Mais le cinéma n’est pas seulement une organisation d’images (montage) : il développe aussi un récit, une narration qui suit elle-même sa propre temporalité. De plus, comme le soulignait le critique de cinéma André Bazin, l’image cinématographique est comme une « momie du changement » : elle enregistre l’événement tout en lui conservant son mouvement, sa durée. « Un film s’inscrit toujours au moins dans deux durées : celle de l’événement représenté, et celle des images qui en donnent une représentation », poursuit Benjamin Thomas. « Un film peut donc jouer avec ces durées différentes : accélérer, étirer, répéter un événement. »

Il y a là quelque chose d’un peu injuste

Enfin, la temporalité la plus mystérieuse du cinéma reste celle de la réception d’une œuvre : le temps de l’appréciation et de l’émotion. « Pourquoi suis-je toujours touché par un film qui ne parle pas de mon temps, ni de mes références ? Pourquoi un film de Yasujiro Ozu décrivant un drame familial dans la petite bourgeoisie japonaise des années 1950 me bouleverse aujourd’hui ? », se demande Benjamin Thomas. Inversement, certaines œuvres rencontrent leur public dès leur diffusion et sombrent dans l’oubli peu après. « C’est parfois très injuste : pourquoi certains réalisateurs sont-ils oubliés aujourd’hui alors que leurs films sont tout à fait valables ? Pourquoi les cinéphiles retiennent les films de Jean Renoir plutôt que ceux de Jean Grémillon, cinéaste majeur de son époque ? Il y a là quelque chose d’un peu injuste et d’accidentel, mais ça fait partie de l’histoire de la réception des œuvres d’art ! ».

* Membre de l’équipe de recherche Approches contemporaines de la création et de la réflexion artistique (Accra).

Baptiste Cogitore