La téléportation nous fait fantasmer et, même si la réalité scientifique est loin des scénarios de La Mouche ou Star Trek, elle n'en demeure pas moins très intrigante…
Contrairement à ce qu’on pourrait imaginer, la téléportation quantique n'est pas un transfert de matière, mais plutôt de structure. Nicolas Gisin, physicien à l'Université de Genève, éminent spécialiste, aime utiliser cette image : « Vous avez un canard en pâte à modeler du côté de l'émetteur et une quantité de pâte à modeler difforme du côté récepteur. A la fin du processus, vous aurez une masse difforme qui aura perdu toute sa structure du côté émetteur, tandis que du côté récepteur la matière aura acquis la structure du canard initial, jusque dans les moindres détails ».
Les physiciens, eux, ne téléportent pas des canards, mais des particules. Les premières expériences dans les années 1990 utilisaient des photons, ces « grains » de lumière sans masse. Condition sine qua non, les particules doivent être intriquées. « Le canal de téléportation est cette fameuse intrication quantique » dit-il. Deux particules intriquées sont issues d’une même source (par exemple un laser) et conservent un lien qui défie la distance et le temps ; une action sur l'une aura une répercussion instantanée sur la seconde, comme s’il s’agissait d'une seule entité. Pour obtenir des paires de photons intriqués, les physiciens envoient, dans des conditions particulières, des impulsions laser dans un cristal dit « non linéaire ».
En 2000, l'équipe de Nicolas Gisin a réalisé la première téléportation quantique hors laboratoire de photons sur une distance de 10 km. Les chercheurs ont ensuite réalisé des expériences entre atomes. Nouvelle étape en 2014, le physicien suisse est parvenu à téléporter l'état quantique d'un photon à un cristal distant de 25 km. « Le support change (du support photonique au support atomique), mais la structure reste identique ». Comme si le canard en pâte à modeler pouvait instantanément transférer sa structure à distance à une pierre...
Le physicien ambitionne de construire des réseaux quantiques (avec 4 ou 5 points pour l'instant) pour téléporter des informations d'un cristal vers n'importe quel autre cristal du réseau. Certains parlent des prémices d'un internet quantique. Autre application, la cryptographie quantique qui consiste à téléporter un message secret d'un endroit à un autre.
« Si la structure disparaît d'ici pour réapparaître là-bas, sans passer par nulle part, où passe-t-elle ?
Reste une interrogation de taille pour Nicolas Gisin : « Si la structure disparaît d'ici pour réapparaître là-bas, sans passer par nulle part, où passe-t-elle ? C'est comme s'il existait un raccourci par l'extérieur de l'espace-temps... Notre compréhension du temps est encore extrêmement pauvre ».