L’intelligence artificielle va-t-elle profondément modifier le cours de la justice ? Cela a déjà commencé ici ou là. Mais jusqu’où ira-t-on ? Simple aide à la décision ou remplacement pur et simple des magistrats et des avocats ?
En Chine, un premier cybertribunal spécialisé dans les litiges sur internet a ouvert en 2017. En Estonie, les algorithmes s’apprêtent à rendre directement la justice pour des litiges d’un montant inférieur à 7 000 euros. En France même, quelques expérimentations peu concluantes ont été tentées dans les cours d’appel de Rennes et de Douai. Les algorithmes vont-ils demain rendre la justice à la place des hommes ? Les robots vont-ils remplacer les juges ? Est-on entré dans l’ère nouvelle de la justice prédictive ?
En France, les données de la justice ne sont ouvertes que depuis la loi Lemaire de 2016. Cela fait donc seulement trois ans qu’elles peuvent faire l’objet d’un traitement algorithmique. Certaines entreprises se sont aussitôt spécialisées dans ce service et proposent à leurs clients toute une batterie de statistiques qui les aident à régler des contentieux. Cela concerne à vrai dire à ce jour essentiellement le contentieux de l’indemnisation par les assurances. « L’usage des algorithmes, explique Raphaël Eckert, professeur de droit et membre du pôle Cyberjustice de l’université, peut effectivement aider le juge à prendre ses décisions. Cela pourrait permettre à un magistrat de travailler plus efficacement. C’est aussi potentiellement une source d’économies dont rêvent tous les gardes des sceaux. Mais on ne doit jamais oublier que chaque litige est particulier. »
« Nous pourrions très bien imaginer un juge croulant sous les dossiers, qui se repose exclusivement sur ce que dit la machine, complète Franck Macrez, maître de conférences au Centre d’études internationales de la propriété intellectuelle (Ceipi). Mais une décision de justice, c’est avant tout l’appréciation d’éléments non quantifiables ; la machine passe forcément à côté d’un grand nombre de données. » Source d’économies, aide à la décision d’un côté, mais l’intrusion des algorithmes dans les décisions de justice est intrinsèquement porteuse de risques. « En outre, cela pourrait soustraire de nombreuses affaires à la justice, avertit Raphaël Eckert. Soit que cela décourage le justiciable craignant que l’affaire ne soit jugée par avance. Soit que les affaires ne soient réglées directement à l’amiable. »
« Aux États-Unis, si vous recherchez n’importe quelle affaire sur le web, vous connaissez le taux de réussite des avocats. »
Et le traitement massif des données pourrait avoir d’autres conséquences. « Si vous avez accès à toute la jurisprudence, vous avez également accès aux magistrats qui ont rendu leurs décisions et aux avocats qui ont défendu leurs clients, remarque Franck Macrez. Vous pouvez donc les noter. Aux États-Unis, si vous recherchez n’importe quelle affaire sur le web, vous savez quel juge a rendu la décision, vous connaissez aussi le taux de réussite des avocats. » Bref, le justiciable n’a plus qu’à faire son choix sur une espèce de TripAdvisor ou de Tinder de la justice. Nous n’en sommes pas encore tout à fait là en France, où ce sont encore les juridictions qui rendent la justice.
Brunet, étudiant en L1 de droit
« C’est une très bonne chose. Ça permet de faire gagner du temps. Le danger c’est la disparition de certains emplois, même si d’un côté ça permet d’en créer d’autres. L’algorithme permet de traiter beaucoup de données des anciennes affaires juridiques, de simuler des procès, de résoudre une affaire de manière très fiable. Mais la technologie évolue trop vite par rapport à notre capacité à s’y adapter et à gérer les problèmes éthiques. La création de machines a également des répercussions sur la planète, en matière de pollution. »