octobre 2017

Quand la modélisation 3D redonne corps au passé

Au laboratoire Archéologie et histoire ancienne : Méditerranée - Europe (Archimède), voilà déjà longtemps que la photogrammétrie, la lasergrammétrie et la conception assistée par ordinateur sont des outils de travail au même titre que la truelle, le pinceau et le crayon. Trois de ses architectes-archéologues sondent pour Savoir(s) les avancées et les questionnements introduits par ces utilisations du virtuel pour reconstruire le réel.

Catherine Duvette, Françoise Laroche-Traunecker et Didier Laroche du laboratoire Archéologie et histoire ancienne : Méditerranée - Europe (Archimède). © Catherine Schröder
Catherine Duvette, Françoise Laroche-Traunecker et Didier Laroche du laboratoire Archéologie et histoire ancienne : Méditerranée - Europe (Archimède). © Catherine Schröder

Des promeneurs évoluant entre les colonnes d’une agora, des hommes nus dans un gymnase, une frise colorée sur un temple de Thèbes… Les reconstitutions 3D de Didier Laroche plantent avec précision le décor quotidien de la Grèce antique.
« Dans ses représentations, le monde antique est trop souvent réduit à l’architecture. Il faut aussi compter avec tout ce qui fait un cadre de vie : mobilier, végétation, gens, sculptures… » C’est pourtant un architecte qui parle.

Didier Laroche, qui est aussi archéologue, a rejoint récemment Catherine Duvette et Françoise Laroche-Traunecker au sein du laboratoire Archimède (Unistra/CNRS), rattachées au Service d’analyse des formes architecturales et spatiales. Ils utilisent depuis plusieurs années les techniques de modélisation 3D des bâtiments dont il ne reste souvent que des ruines. Parfois uniquement des fondations et « pour certains sites, de multiples traces liées à des occupations successives, qu’il faut distinguer les unes des autres », précise Catherine Duvette. C’est le cas de l’antique cité portuaire de Tyr au Liban, où la chercheuse se rend un mois chaque année depuis 2008.

Technique la plus utilisée pour relever l’existant, la photogrammétrie permet de déterminer les dimensions et les volumes des objets à partir de photographies. « Pour un chapiteau (élément supérieur d’une colonne), par exemple, de multiples prises de vues sous différents angles sont nécessaires. Un traitement informatique exploitant des algorithmes d’analyse d’images permet ensuite de créer un modèle maillé », explique Catherine Duvette, spécialiste de ces techniques nouvelles.

Inscrite à part entière dans l’histoire des sciences et techniques, la photogrammétrie a accompagné ses mutations les plus récentes, à commencer par le numérique. Des drones peuvent être utilisés pour modéliser la topographie de sites entiers. Plus récente, la lasergrammétrie permet de réaliser des relevés à l’aide de scanners laser.

Reconstitution du parement intérieur du monument Stonehenge en Angleterre.
Reconstitution du parement intérieur du monument Stonehenge en Angleterre.

« Tester des hypothèses »

Ces techniques d’acquisition et de reconstitution simplifient le travail du chercheur et, mises en œuvre selon une méthode « inductive, collaborative et imaginative », multiplient ses possibilités. « Cela nous permet de tester et de modifier nos restitutions, examinées d’une multitude de points de vues. Bien plus rapide qu’un dessin à la main qu’il faudrait chaque fois recommencer », rappelle Françoise Laroche-Traunecker, qui n’en a pas pour autant abandonné la bonne vieille technique du tracé au crayon à papier.

Il s’agit d’explorer les hypothèses, aussi bien architecturales que fonctionnelles, en esquissant à partir de plans et de coupes les constructions humaines d’antan.

Les outils de modélisation sont merveilleux car ils permettent de communiquer nos travaux dans un langage « intelligible » par tous, nos collègues d’autres disciplines comme le grand public. »

« Nous rajoutons aussi des éléments, comme des gens, pour montrer l’échelle », ajoute Didier Laroche. Car derrière la restitution 3D, l’enjeu est celui de la transmission. A commencer par celle des architectes-archéologues à leurs pairs : « Formés de façon classique par le dessin, nous avons souvent recours à l’axonométrie (vue dont les trois dimensions sont à une échelle donnée, contrairement à la perspective qui déforme les plans et les élévations). Les outils de modélisation sont merveilleux car ils permettent de communiquer nos travaux dans un langage « intelligible » par tous, nos collègues d’autres disciplines comme le grand public (lire ci-dessous). »

Ecueils

Comme toute technique toutefois, le recours à la modélisation 3D n’est pas dénué d’écueils. « Nous ne sommes que face à une représentation, abstraite, de la réalité. Il ne faut pas tout prendre pour argent comptant », rappelle Didier Laroche, précisant que, par exemple, l’introduction des notions de poids et de résistance des matériaux est très récente. « On s’intéresse aussi à la façon dont les sites ont été détruits. »
Autre risque inhérent : la perte de contrôle engendrée par une diffusion sans filtres des images produites sur internet. « Déconnectée de son contexte scientifique, sans légende ni échelle, une représentation peut perdre son sens ! », insiste Catherine Duvette.
Sans compter une problématique que les chercheurs n’avaient pas forcément anticipée : la conservation des représentations créées. « L’évolution perpétuelle de nos logiciels, la disparition des plateformes de diffusion, sont autant de questions en suspens, rappelle Didier Laroche. C’est un paradoxe : alors qu’on travaille sur des édifices de plusieurs milliers d’années, nous ne sommes pas sûrs que notre travail sera encore accessible dans 50 ans ! »

Modélisation en coupe de la basilique de Smyrne en Turquie (aujourd’hui Izmir)
Modélisation en coupe de la basilique de Smyrne en Turquie (aujourd’hui Izmir)

Ecueils

Comme toute technique toutefois, le recours à la modélisation 3D n’est pas dénué d’écueils. « Nous ne sommes que face à une représentation, abstraite, de la réalité. Il ne faut pas tout prendre pour argent comptant », rappelle Didier Laroche, précisant que, par exemple, l’introduction des notions de poids et de résistance des matériaux est très récente. « On s’intéresse aussi à la façon dont les sites ont été détruits. »
Autre risque inhérent : la perte de contrôle engendrée par une diffusion sans filtres des images produites sur internet. « Déconnectée de son contexte scientifique, sans légende ni échelle, une représentation peut perdre son sens ! », insiste Catherine Duvette.
Sans compter une problématique que les chercheurs n’avaient pas forcément anticipée : la conservation des représentations créées. « L’évolution perpétuelle de nos logiciels, la disparition des plateformes de diffusion, sont autant de questions en suspens, rappelle Didier Laroche. C’est un paradoxe : alors qu’on travaille sur des édifices de plusieurs milliers d’années, nous ne sommes pas sûrs que notre travail sera encore accessible dans 50 ans ! »

L’Acropole, oui… Mais en mieux, grâce à la réalité virtuelle !

Même s’il est arrivé à Didier Laroche de s’appuyer sur la modélisation 3D ou des maquettes pour restaurer ou reconstruire partiellement un bâtiment, l’avancée permise par la technique ouvre selon lui d’autres horizons. « On a imaginé, sur certains sites touristiques, un modèle 3D totalement immersif : la vision de la réalité est prolongée, à travers des lunettes, par des restitutions », soutient le chercheur, également enseignant à l’Ecole nationale supérieure d’architecture de Strasbourg (Ensas). Et de prendre pour exemple le site de l’Acropole : « Au lieu de reconstruire sans cesse le Parthénon, ce qui finit par créer un bâtiment neuf, on garderait les ruines en l’état et c’est à l’aide de lunettes 3D qu’on explorerait les multiples possibilités d’une reconstruction ». Car, on en a aujourd’hui la preuve, les temples grecs étaient colorés et non pas blancs… « Mais, dans de nombreux cas, on n’a aucune idée de comment ces pigments étaient disposés ».

Elsa Collobert

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