Comment la science ouverte sert-elle ou dessert-elle les nécessaires obligations d’intégrité et d’éthique de la recherche ? Tentatives de réponse avec Valérie Lamour, vice-présidente déléguée recherche Interdisciplinarité et liens recherche-formation de l’Université de Strasbourg, et Nicolas Giuseppone, référent intégrité scientifique.
Éthique, intégrité, déontologie… jamais les universités et les établissements de recherche ne se sont autant préoccupés des conditions dans lesquelles ils exercent leurs missions scientifiques et même des objectifs qui les sous-tendent. Et dans le même temps, grâce à la science ouverte, jamais leurs travaux n’ont été aussi accessibles aux pairs et au grand public. D’où la question : la science ouverte sert-elle ou dessert-elle les objectifs d’éthique et d’intégrité scientifique ? Vous avez quatre heures…
« Ça n’arrive pas qu’aux gens mal intentionnés de franchir la ligne rouge. »
Commençons par préciser quelques concepts. L’intégrité scientifique, c’est l’ensemble des règles à respecter dès lors qu’on se lance dans un travail de recherche : comment les données sont-elles collectées ? Comment sont-elles interprétées ? Comment sont-elles publiées ? Les règles d’intégrité fixent notamment trois interdits : le plagiat, la falsification et la fabrication des données. « Mais attention, avertit Nicolas Giuseppone, référent intégrité scientifique de l’Unistra, ça n’arrive pas qu’aux gens mal intentionnés de franchir la ligne rouge. Ça peut être tout simplement le résultat d’un manque de rigueur méthodologique… »
La déontologie concerne le respect des règles communes, des bonnes pratiques collaboratives : partager les lauriers du travail avec l’équipe, ne pas exercer de pressions sur les collaborateurs dans le but d’obtenir tel ou tel résultat, éviter les conflits d’intérêts, par exemple dans l’obtention de financements privés… Quant à l’éthique, elle s’attachera plutôt à analyser les impacts sociétaux ou moraux d’une recherche.
« L’open science devient évidemment un outil en faveur de l’intégrité de la recherche. »
Une fois ces définitions posées, comment la science ouverte impacte-t-elle l’intégrité ou l’éthique de la recherche ? Quand un chercheur publie un travail, celui-ci doit pouvoir être reproduit par ses pairs en se référant aux protocoles décrits et aux données utilisées. « N’importe quel chercheur, explique Nicolas Giuseppone, également responsable d’une équipe de recherche à l’Institut Charles-Sadron, doit pouvoir vérifier que les données brutes existent, qu’elles ont été collectées et interprétées selon les bonnes pratiques scientifiques en vigueur dans le domaine concerné. Les données qui ont permis d’atteindre le résultat doivent donc pouvoir être stockées et accessibles. L’open science devient évidemment un outil en faveur de l’intégrité de la recherche. » C’est un des points sur lesquels il insiste lors de sa conférence annuelle aux futurs doctorants de l’Unistra sur la charte de déontologie des métiers de la recherche.
« En rendant publiques les données, l’open science permet de réhabiliter le processus scientifique »
Aujourd’hui, quand un article est publié, il peut être immédiatement commenté sur le web, discuté de manière ouverte… mais malheureusement souvent de manière anonyme. Ce qui laisse la porte ouverte à tous les excès. « Certains sites ont montré que cela permettait parfois de démasquer des atteintes à l’intégrité scientifique, explique le référent intégrité de l’Unistra. En même temps cela conduit aussi parfois à salir des chercheurs injustement et pour de mauvaises raisons. On atteint là aussi les limites de l’intégrité. » C’est aussi la porte ouverte aux fake news. « Justement, en rendant publiques les données, l’open science permet de réhabiliter le processus scientifique, reprend Valérie Lamour, vice-présidente Recherche, interdisciplinarité et liens recherche formation, qui a porté la création du tout nouveau comité d’éthique pour la recherche de l’université. La publication et la transparence, dès lors qu’elles ne se cantonnent pas aux seuls résultats mais plongent dans les procédures qui ont permis d’y parvenir, servent la science. Les fake news, elles, prospèrent dans l’opacité. »
Et la co-directrice d’une équipe à l’Institut de génétique et de biologie moléculaire et cellulaire (IGBMC), responsable du double cursus Médecine-Sciences, pose la question des données médicales. « L’utilisation des données des patients, et plus largement des personnes, est de plus en plus encadrée, rassure-t-elle. Le principe pour le chercheur, c’est bien sûr l’anonymisation des données, encadrée par les procédures de la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL). Cet encadrement permet leur utilisation pour la recherche, dont les résultats eux se doivent d’être ouverts. »
Après la remise du rapport sur l’intégrité scientifique de Pierre Corvol en juin 2016 et la signature de la charte nationale sur la déontologie des métiers de la recherche, l’Unistra a été une des toutes premières universités françaises à nommer un référent intégrité. Depuis juin 2017, la mission a été confiée à Nicolas Giuseppone, chercheur à l’Institut Charles-Sadron. Il est l’interlocuteur des personnels de la recherche et des étudiants dès lors qu’une question se pose sur un manquement à l’intégrité scientifique et il aide à la résoudre.
L’Université de Strasbourg a créé son comité d’éthique pour la recherche en juin 2018. Il est présidé par Céline Clément, professeur en psychologie et sciences de l'éducation. S’il veut soumissionner, le chercheur, porteur d’un projet de recherche non interventionnelle, doit saisir le comité pluridisciplinaire, qui rendra un avis, de plus en plus demandé par les éditeurs ou les financeurs. Les recommandations du comité portent sur les aspects réglementaires de la recherche, la méthodologie, la collecte et le plan de gestion des données. La participation de la correspondante CNIL, des représentants du comité d’éthique des facultés de santé et du comité de protection des personnes (CPP) permet un traitement adéquat des demandes face aux évolutions du cadre législatif.