octobre 2019

Vers un contrôle numérique du travail ?

L’algorithme et l’application sont-ils l’avenir du contremaître ? Fabien Brugière, sociologue du travail et chercheur au sein du laboratoire Sage (Sociétés, acteurs, gouvernement en Europe) étudie actuellement le fonctionnement des plateformes numériques de transport*.

Fabien Brugière, chercheur au sein du laboratoire Sage (Sociétés, acteurs, gouvernement en Europe)

Quel est le modèle économique de ces plateformes ?

Les plateformes de transport, comme Uber, se positionnent comme des intermédiaires sur un marché de service. Elles mettent en relation en temps réel, l’offre (le chauffeur) et la demande (le client). Ce positionnement leur permet de ne pas être considérées comme des compagnies de transport et de se soustraire aux contraintes réglementaires et notamment au droit du travail. Pour l’essentiel, les chauffeurs sont des travailleurs indépendants, qui achètent ou louent leur outil de travail (le véhicule).
De son côté, la plateforme apporte une application numérique, qui n’est d’ailleurs pas spécialement innovante sur le plan technologique, mais surtout un réseau et une image supportée par la publicité. Ce type d’organisation présente également les avantages de faciliter le développement à l’international et d’assurer un contrôle numérique du travail.

Comment fonctionne ce contrôle, concrètement ?

L’algorithme permet l’automatisation de nombreuses tâches. C’est lui qui attribue les courses aux chauffeurs, gère les files d’attente devant les gares et les aéroports. Il y a une apparence de neutralité dans ces attributions, mais en réalité, l’algorithme sert les intérêts économiques de la plateforme. D’une certaine manière, il manipule les chauffeurs. Ce peut être via des incitations financières comme les majorations dans les zones géographiques où la demande est ponctuellement trop faible, ou tout simplement en utilisant une forme de pression : l’application mesure les taux de refus et d’annulation de courses de chaque chauffeur. Elle évalue aussi leur conduite, qui est littéralement « fliquée » : respect des limitations de vitesse mais aussi fluidité de la conduite, et respect du parcours GPS proposé par l’application sont systématiquement scrutés.

« Les plateformes délèguent aux clients une partie des tâches managériales, en particulier l’évaluation des courses »

Enfin, les plateformes délèguent même aux clients une partie des tâches managériales, en particulier l’évaluation des courses : s’ils sont mal notés, les chauffeurs peuvent être déconnectés automatiquement du système, provisoirement ou non. L’algorithme est aussi chargé de les motiver en leur envoyant des textos de type : « Levez-vous, il y a des majorations à saisir ! »

Quelles conclusions tirez-vous de vos analyses ?

Je pense qu’on assiste au développement d’un contrôle numérique du travail grâce aux algorithmes, utilisés comme instruments d’organisation de la production en flux-tendu et par l’orientation client. Dans un contexte de précarisation économique, ces logiques ont un impact négatif sur les conditions de travail : autonomie réduite, intensification et allongement du travail. Il est aussi fort possible que l’avenir soit à l’automatisation intégrale, par le biais des voitures autonomes. L’étape suivante c’est donc de faire simplement l’économie des chauffeurs.

* Fabien Brugière est titulaire d'un Idex Attractivité : Temp (Travail, emploi, mobilisation sur les plateformes numériques)

Vous et l’IA ?

Sara, étudiante en L3 de biologie

« Je trouve qu’il y a plus de bons que de mauvais côtés à l’intelligence artificielle. Pour moi, ça ne peut pas devenir hors de contrôle car c’est l’Homme qui la crée. Ça reste un ordinateur, donc ça fait ce qu’on lui dit. Elle est pratique dans la vie de tous les jours avec les appareils ménagers. Il y a aussi Siri sur les téléphones. Les robots qui renversent les humains comme dans les films, je ne pense pas que ça puisse arriver ! »

Propos recueillis par Caroline Laplane