octobre 2019

Vous avez dit "intelligence artificielle" ?

L’élaboration d’outils constitue l’acte fondateur de l’humanité. Par cette activité l’homme se démarque radicalement des autres espèces animales. L’outil répond à un projet. Il est conçu avant d’être utilisé. Perfectionné au fil du temps, il accroit à chaque fois l'emprise de l'homme sur son environnement, l'éveille à l'intelligence du monde et inscrit l'humanité dans l'Histoire.

Jean-Claude Gall, professeur émérite à l'Université de Strasbourg, géologue et paléontologue

Les premiers outils datent d'environ 2,5 millions d'années. Il s'agit de galets aménagés ou de fragments de roches, les « choppers », intentionnellement cassés pour obtenir des arêtes permettant de couper, de sectionner, de racler. Ils sont l'œuvre d'Homo habilis, un hominidé issu de l'Afrique. Au fil du temps, les techniques de fabrication s’affinent. L’affûtage des tranchants s’améliore. Le façonnement d’outils à deux tranchants vers -2 millions d'années, les « bifaces », est dû à un autre hominidé, le Pithécanthrope. C'est également lui qui, en frottant un morceau de pyrite contre un silex, apprend à maîtriser le feu. Au fil du temps, l'outillage lithique gagne en efficacité en fonction des multiples usages qui lui sont dévolus. L'« âge de la pierre taillée » connaît son apogée aux alentours de - 350 000 ans avec l'homme de Neandertal, puis, un peu plus tard avec Homo sapiens, l'unique survivant de l'histoire de l'humanité. À l'« âge de la pierre taillée » succède, il y a moins de 10 000 ans, « l’âge de la pierre polie » puis « l'âge des métaux ». En lieu et place de la pierre, l'homme travaille le bronze puis le fer, se tournant vers l’exploitation des ressources minérales du sous-sol. Avec les temps modernes, il accède, il y a quelques siècles à peine, à l'ère industrielle.

Ainsi, l'histoire de l'outil délivre le constat d'une accélération des innovations technologiques. Le temps se contracte.

Une disproportion temporelle flagrante dans le déroulement des deux histoires

La succession des espèces qui jalonnent la longue marche de l'humanité s'accompagne de changements anatomiques. Ainsi en est-il de la capacité crânienne qui mesure le volume du cerveau. Celle-ci est de 600 à 700 cm3 chez Homo habilis. Elle est comprise entre 900 et 1300 cm3 chez le Pithécanthrope. Elle se situe autour de 1400 cm3 chez Homo sapiens. Au fil du temps, la capacité crânienne s’accroît au rythme lent des transformation des structures et des organes qui caractérisent l'évolution biologique. Elle se mesure à l'aune des millions d'années. Elle est fille du temps.

Certes, le volume du cerveau ne saurait servir de référence exclusive pour mesurer les capacités cognitives de l'homme. Mais force est de constater la disproportion temporelle flagrante dans le déroulement des deux histoires, celle des activités humaines illustrées par la fabrication d'outils et celle de l'évolution du corps humain.

En concevant et en programmant des machines, l'homme délègue à la matière une part croissante de son inventivité.

Fabriqué à partir d'un matériau prélevé dans le milieu extérieur, l'outil est artefact, c'est-à-dire, par définition, artificiel. En concevant et en programmant des machines, l'homme délègue à la matière une part croissante de son inventivité. Des tâches de plus en plus complexes sont confiées à des robots.

L'accélération des innovations technologiques fait craindre à d'aucuns que leur maîtrise n'échappe un jour au contrôle de l'homme et ne l'asservisse, à l'instar du scenario de l'Apprenti sorcier.

Mais peut-on pour autant qualifier leurs prouesses d'intelligence ?

Vous et l’IA ?

Mathivet, étudiant en DUT de chimie

« Pour ou contre l’intelligence artificielle ? Cela dépend de ce qu’on en fait. À long terme, cela risque d’être néfaste. On peut vite perdre le contrôle, elle peut nous dépasser. La série Black Mirror ou certains films abordent cette question et ça peut faire vraiment peur. »

Jean-Claude Gall