L’Agenda 2030 de l’ONU fixe au monde 17 Objectifs de développement durable. Ceux-ci touchent autant aux questions environnementales que sociales. Comment l’université peut-elle s’emparer de ces objectifs ? Réponses avec Christian Brassac, responsable du comité de pilotage du Schéma directeur DD et RS du site Alsace*.
Qu’est-ce que le développement durable ?
Quand on pense développement durable, on pense immédiatement énergie, mobilité, biodiversité, sobriété… et on ne convoque pas l’égalité femmes-hommes, les discriminations, le bien-être au travail, le télétravail… Je pense que c’est une erreur. Développement durable (DD) et responsabilité sociétale (RS) sont intimement liés. Si on regarde les 17 Objectifs de développement durable (ODD) de l’Agenda 2030 de l’ONU signés en 2015 à l’unanimité par 193 États, le premier c’est la pauvreté, le deuxième la faim, le troisième la santé… Le premier objectif lié au développement durable an sens strict vient à la sixième place : c’est l’accès à l’eau. Dans les entreprises, on parle de RSE : responsabilité sociale des entreprises. L’environnemental et le social y sont intimement liés. Il est indispensable de ne pas séparer « écologisme » et « sociologisme ».
En quoi, par exemple, le respect de la biodiversité est-il lié avec le respect des causes sociales ?
Pour tout un ensemble de thématiques, la liaison est évidente, pour d’autres, elle l’est moins. C’est vrai pour la biodiversité, même si on pourrait, dans ce cas, évoquer la nécessaire éducation des enfants sur le sujet. En revanche, prenez le télétravail. Il s’agit de moins se déplacer, donc d’économiser l’énergie, mais le télétravail améliore aussi le bien-être et la responsabilisation au travail. Il y a là clairement un lien entre la question environnementale et la question sociale.
Pourquoi avoir attendu 2015 pour fixer ces ODD ?
Les ODD sont les héritiers des huit Objectifs du millénaire pour le développement (OMD). Ils avaient été arrêtés en 2000 en direction des pays en développement : ils visaient la pauvreté, la faim, la santé maternelle, l’éducation… L’écologie était très peu abordée. En 2015, 193 pays signent à l’unanimité le fameux Agenda 2030. On retrouve les OMD en tête de liste, mais cette fois cela s’adresse à tous les pays du monde, du Luxembourg au Gabon et à la Chine, et cela étend les objectifs à la partie environnementale : la croissance durable, la préservation des océans et des écosystèmes… Et j’insiste : dans ces objectifs vous avez autant de développement durable que de responsabilité sociale. On sait bien par exemple, que les premières victimes du réchauffement ce sont les pauvres et les femmes : dans les pays du Sahel, ce sont elles qui vont chercher l’eau.
Et ces objectifs, comment se mettent-ils en œuvre ?
En 2015, la France a produit sa « feuille de route pour l’Agenda 2030 ». Et depuis trois ans, en France, le monde de l’enseignement supérieur s’engage dans la mise en conformité de ses pratiques avec les ODD. Les Conférences des présidents d’universités et des grandes écoles ont créé un label DD & RS. L’École nationale du génie de l'eau et de l'environnement de Strasbourg (Engees) est l’un des dix premiers établissements d’enseignement supérieur à avoir obtenu ce label. Et en juillet dernier le site alsacien réunissant l’Unistra, l'Université de Haute-Alsace, la Haute école des arts du Rhin, l'Engees, l'Institut national des sciences appliquées Strasbourg, la Bibliothèque nationale universitaire et le Crous, a adopté son schéma DD & RS. Nous contribuons ainsi aux objectifs nationaux et mondiaux.
Cela fait trente ans qu’on parle du développement durable dans les organisations internationales : depuis le Sommet de la terre à Rio. Aujourd’hui, d’aucuns reprochent aux États de n’avoir rien fait. Mais les universités n’ont-elles pas, elles aussi, leur responsabilité dans ce retard ?
Chez beaucoup d’universitaires, la prise de conscience est réelle et ancienne, à titre individuel. Il est vrai en revanche, que la mobilisation de certaines instances est très récente. Il y a six mois, la ministre Frédérique Vidal a mis sur pied un groupe de travail, dirigé par Jean Jouzel, chargé de faire en sorte que tout étudiant, qu’il soit en géologie, en théologie, en psychologie ou en géographie… ait des cours relatifs aux enjeux de la transition écologique. Il y a seulement six mois. La prise de conscience est là, mais il y a encore beaucoup de travail.
Comment passe-ton de l’incantation à l’action ? Le rôle de l’université n’est-il pas, justement, de produire des savoirs pour passer à l’action ?
Oui tout à fait. Et elle le fait déjà. L’université doit transmettre ses savoirs aux étudiants bien sûr, mais aussi au monde social. L’université a un rôle très important à jouer pour remuer tout le monde.
Propos recueillis par Jean de Miscault
* Les établissements du contrat de site Alsace : Bibliothèque nationale et universitaire de Strasbourg (BNU), École nationale du génie de l'eau et de l'environnement de Strasbourg (Engees), École nationale supérieure d'architecture de Strasbourg (Ensas), Haute école des arts du Rhin (Hear), Institut national des sciences appliquées de Strasbourg (Insa), Université de Haute-Alsace (UHA) et Université de Strasbourg (Unistra).
L’Engees est l’un des dix premiers établissements français d’enseignement supérieur à avoir obtenu le label DD et RS du ministère de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation. Elle a été rejointe par l’École de chimie polymères et matériaux (ECPM), le 7 janvier 2020. L’Engees a, par exemple, mis en place un système de compensation carbone du déplacement contraint de ses étudiants vers leurs stages de fin d’études à l’étranger en finançant la plantation de haies par des élèves du lycée agricole d’Obernai. Quand il s’est agi de rédiger et de piloter le Schéma directeur DD et RS du site alsacien, celui-ci s’est donc naturellement tourné vers l’Engees et son chargé de mission notamment affecté à ces sujets : Christian Brassac.