L’ouverture des données scientifiques pose de nouveaux défis à l’université. Comment en définir les contours, les limites, les enjeux ? Entretien avec Michel Deneken, président de l’Université de Strasbourg.
Comment l’Université de Strasbourg appréhende-t-elle la science ouverte ?
« L’université fait le pari d’offrir ses données au public, de les diffuser, mais pas sans discernement. »
C’est une évolution qui suppose que l’on ait une vision globale, holistique, en se posant la question : qu’est-ce que l’université ? Ce qui est certain, c’est que ce n’est plus un sujet que l’on discute « en chambre » : il est temps d’agir. L’ouverture et l’accessibilité des données scientifiques visent à plus d’efficience, plus de transparence, en apportant une meilleure réponse à la recherche interdisciplinaire. Nous vivons dans un monde où les données sont très difficilement sanctuarisables. Même si l’on peut ériger des digues et des barbelés, il n’est pas difficile de les contourner. L’université fait donc le pari d’offrir ses données au public, de les diffuser, mais pas sans discernement. Un certain nombre de verrous sont imposés par le législateur quant aux données sensibles, notamment les casiers judiciaires, les données médicales et personnelles, etc. Et il y a d’autres limites que l’université se fixe, définies par exemple par des commissions
de déontologie.
Ce qui peut mener à des contradictions…
L'université est ouverte. Et surtout quand il s’agit d’une université publique, elle a pour mission de rendre accessibles, transparentes et vérifiables les données qui y sont produites. Ce qui peut sembler contradictoire, dans ce monde de réseaux sociaux avec une revendication citoyenne de transparence, c’est la nécessité de préserver la propriété intellectuelle, celle du chercheur… Cette réflexion est internationale, européenne, nationale et locale. La question a d’ailleurs été évoquée à la Conférence des présidents d’université, en 2015.
Il faut donc veiller à ne pas céder à la pression et à l’emballement et prendre le temps de vérifier les données. Qu’est-ce qui est partageable ? Des conclusions hâtives peuvent mener à des contestations, voire à des procès. Et des réticences peuvent se faire entendre par rapport à des projets dont on ne souhaite pas qu’ils soient connus avant publication et vérification.
Concrètement, en quoi la science ouverte fait-elle avancer la science ?
« Être transparent protège mieux que de cacher »
Elle met en évidence qu’il n’y a pas de science finie et définitive, qu’il s’agit d’un chantier ouvert, en devenir. S’engager dans l’open science suppose une collaboration entre toutes les disciplines et tous les métiers pour le développement des communications de la science. On assiste à une évolution des outils, mais aussi du comportement des chercheurs, bien qu’avec des approches différentes selon les disciplines. La plateforme « maison » UnivOAK - Archives ouvertes de la connaissance - a une vocation globalisante, tout enseignant-chercheur de l’Unistra est appelé à y publier. Nous avons fait ce choix à Strasbourg, c’est une manière de dire que l’université est le lieu d’hébergement, de gestion et de protection de nos chercheurs. Et je suis persuadé qu’être transparent protège mieux que de cacher…
Et comment cette évolution va-t-elle se traduire dans la formation des étudiants ?
Jusqu’à présent, personne n’a appris à gérer un portefeuille de données, personne ne sait vraiment ce que c’est ! Tout est à faire et il faut commencer par se regarder en tant qu’individu entouré de données… Une réflexion est en cours à l’université, avec l’Unité régionale de formation à l’information scientifique et technique (Urfist), pour initier les étudiants et, en amont, les lycéens, à la gestion de leurs données, cours, documents, bibliographies… Mais on en est encore au B.A BA !
La Conférence des présidents d’université (CPU) s’est réunie en colloque, en mai 2015, pour débattre des enjeux de l’université à l’ère numérique. En sont issus un texte d’orientation et des propositions qui ont constitué le socle des réflexions menées dans les universités de l’Hexagone. « L’Unistra y souscrit entièrement », précise Michel Deneken.
Ce texte met l’accent, notamment, sur le rôle de l’université dans l’analyse des conséquences du changement sur les organisations et les comportements. Il pointe la nécessité, pour les universités, d’assumer une fonction d’expertise et de prescripteur auprès des pouvoirs publics et de la société, tout en favorisant la recherche en éducation et les outils juridiques. Il souligne l’importance de repenser la pédagogie, la transmission des savoirs et de favoriser la science ouverte et la recherche contributive. Les universités sont incitées à se mobiliser autour du 3.0 « pour que l’Europe réinvente le web dans un projet de civilisation alternatif qui ne se soumet pas à la technologie, en particulier lorsqu’elle est prescrite par les États-Unis ». Suivent des propositions concrètes, au niveau national et au niveau des établissements, pour mettre en oeuvre ces grandes idées.