mai 2019

Quand le tirage au sort régissait la cité

S’en remettre au hasard pour choisir ses gouvernants : dans l’Antiquité grecque, c’est ainsi qu’étaient pourvues de nombreuses charges politiques. Un système qui n’en finit pas de susciter l’intérêt, y compris aujourd’hui, à travers la reconstitution d’un klèrôtèrion. Cette étonnante machine à tirer au sort est visible à Strasbourg.

Lancés depuis le haut de la machine, des dés permettent d’assurer une représentation égale des différents groupes de citoyens (colonnes). Les lignes désignées par un dé blanc étant retenues, celles associées à un dé noir ne l’étant pas.

Un peuple dépossédé du pouvoir, confisqué par une élite savante ou fortunée, des élus tentés par la corruption et le cumul des mandats… L’écho des critiques du système représentatif (fondé sur l’élection) traverse les siècles.

On les retrouve déjà chez les philosophes grecs, à commencer par Platon. Présenté comme plus impartial, transparent et égalitaire, le tirage au sort est mis en place à l’introduction de la démocratie athénienne. La méthode permet de désigner les membres de certaines assemblées et tribunaux – les fonctions clés de stratèges et archontes, en charge notamment des décisions militaires, restant électives. Rappelons qu’aujourd’hui, notre démocratie ne s’en remet au hasard du tirage au sort que pour la fonction de juré d’assises, héritage de la Révolution de 1789.

Destination le Louvre

Mais revenons 25 siècles en arrière, au sud de la Méditerranée. Un casse-tête se pose aux Grecs soucieux d’égalité : les citoyens athéniens sont répartis en tribus, parfois éloignées géographiquement, et nombreux sont ceux dont la priorité est de travailler leur terre pour gagner leur vie plutôt que se mêler de la vie politique de la cité.

Le klèrôtèrion, dont l’usage est attesté dès le VIe siècle avant J.-C., assure le tirage au sort des citoyens appelés quotidiennement à assumer une charge : l’enjeu est de taille, les citoyens retenus recevant une rétribution compensatoire. « On pense qu’il y en avait plusieurs sur l’agora », décrit Jean-Yves Marc, directeur de l’Institut d’archéologie classique. La machine combine savamment l’utilisation de plaquettes nominatives et le lancement de dés.

À partir de l’étude des sources et des vestiges, un duo historienne-architecte, Liliane Lopez et Nicolas Bresch*, ont fait construire une réplique qu’ils estiment la plus fidèle possible.
Le bloc de calcaire marbrier finement ciselé est présent jusqu’à la fin mai au musée Adolf Michaelis, dans le cadre d’une exposition sur la démocratie athénienne, présentée notamment au Conseil de l’Europe. Il poursuivra ensuite son chemin vers l’Allemagne, avant de terminer dans une vitrine du musée du Louvre, rien de moins.

Idéalisation

« Ce système n’a pas empêché la triche. »

La tentation est aujourd’hui grande d’idéaliser ce système… « qui n’a pas empêché la triche », glisse Jean-Yves Marc. Jean-Philippe Heurtin, politiste au laboratoire Sociétés, acteurs, gouvernement en Europe (Sage) complète en citant plusieurs tentatives d’application contemporaines du tirage au sort : en Islande ou en de Colombie-Britannique (Canada). « Elles se sont soldées par des échecs. Ce système se heurte rapidement à une problématique d’échelle géographique, corrélée à un coût important. » Rappelons que l’Athènes antique ne compte que 10 000 citoyens, femmes, esclaves et métèques étant exclus de la citoyenneté. Autre exemple récent d’introduction du tirage au sort dans la vie politique : des assemblées délibératives, à Paris, dans les années 2000. « Un autre échec, en partie parce que celles-ci n’avaient qu’un pouvoir consultatif, donc limité. »

* Institut de recherche sur l’architecture antique-Iraa (Maison de l’Orient et de la Méditerranée Jean-Puilloux, Université Lyon 2, CNRS)

Elsa Collobert