Le mouvement des gilets jaunes en témoigne et le 32e baromètre annuel de la confiance dans les médias publié par le journal La Croix en janvier* le confirme : la crédibilité des journalistes traditionnels est en chute libre. Nicole Gauthier, directrice du Centre universitaire d’enseignement du journalisme explique cette défiance et avance quelques solutions.
La défiance vis-à-vis des médias est presque aussi vieille que l’histoire de la presse. La crise des gilets jaunes s’inscrit-elle dans cette longue histoire ou révèle-t-elle quelque chose de nouveau ?
Cette crise est révélatrice de quelque chose qui existait déjà, elle était prévisible. Des formes de violences envers les journalistes sur les réseaux sociaux existent depuis quelques années, tout comme les prises à partie sur le terrain, notamment pour les reporters télé. Mais la nouveauté réside dans les formes décuplées de ces violences. Les rassemblements sur les ronds-points ont multiplié les lieux d’intervention des médias et donc de confrontation. L’augmentation du nombre de médias - chaînes d’information en continu, arrivée des pure players - ont aussi joué dans l’accélération de cette impopularité. La crise des gilets jaunes a rendu visible un désamour qui s’étendait depuis quelque temps à bas bruit.
Comment peut-on rétablir le lien de confiance entre les journalistes et les citoyens ?
Il n’y a pas de solution toute faite. C’est un gros travail que les médias et les journalistes doivent prendre à bras-le-corps. C’est un sujet qui concerne le cœur de la démocratie. Les explications qui consistent à dire qu’il y aurait les méchants journalistes (les éditorialistes hors sol) et les gentils (les reporters de terrain, à l’écoute du peuple) sont insuffisantes et largement erronées. Il faut procéder à une remise à plat, écouter ce qui est dit aux journalistes, les racines de la violence, ou en tous cas de la défiance, en y associant le public. Les médias doivent entamer leur « grand débat » !
Faut-il mieux former les journalistes ?
« La crise des gilets jaunes a rendu visible un désamour qui s’étendait depuis quelque temps à bas bruit. »
La sensibilisation à ces questions doit être intégrée à la formation. Cela signifie au quotidien, former les étudiants au choix des mots, aux modes d’entretien, à la façon de se présenter, à la qualité de l’écoute, à l’interaction entre le journaliste et ses interlocuteurs. Mais il s’agit aussi d’une formation tout au long de la vie.
Quels effets cette défiance a-t-elle sur le métier de journaliste ?
Cette défiance s’inscrit dans un contexte difficile. Pour les journalistes, c’est la précarisation du métier, qui finit par tirer les exigences vers le bas. Pour les médias, les conditions de la survie économique, comme en témoigne la recomposition du paysage médiatique. Tout cela produit des effets : le repli sur soi, les tentations de ne pas se mettre en situation de prise de risque, donc d’être moins curieux. Mais il ne faut pas sous-estimer, non plus, les effets positifs, les expériences nouvelles, l’impulsion de démarches collectives pour la production d’informations, des initiatives d’échanges avec le public, même si on manque d’indicateurs pour en mesurer les effets.
* 32e baromètre de la confiance des Français dans les médias réalisé par Kantar pour La Croix, janvier 2019.