L’analyse des systèmes de représentation territoriaux ou institutionnels est au cœur de votre recherche. Pourquoi ?
L’intérêt est né de l’observation de l’évolution des modalités de représentation adoptées au fil du temps par nos institutions, du constat, aussi simple qu’alarmant, d’une perte grandissante de capacité expressive, représentative. Et cela du fait d’un transfert de codes sémantiques qui a été opéré, à grande échelle, du privé au public. Comme pour les entreprises du secteur privé, la notion d'identité, territoriale ou institutionnelle, se construit aujourd’hui autour d’un logo soumis à des logiques marchandes qui ne relèvent pas de la cohérence d’un système de représentation intelligible. La culture du branding a envahi notre espace public !
Nos territoires, nos institutions, seraient-ils donc devenus des entreprises comme les autres ?
De l’intelligibilité de l’espace public dépend la survie de nos institutions démocratiques.
Nos institutions sont aujourd’hui confrontées à d’énormes problèmes d’intelligibilité. Un fossé désormais tangible s’est creusé entre les besoins réels des institutions en termes de représentativité et l’image qu’elles renvoient aux citoyens. Or, la question de la lisibilité doit redevenir notre priorité, notre priorité collective. De l’intelligibilité de l’espace public dépend la survie de nos institutions démocratiques.
La distinction terminologique entre identité et identification est subtile. De quoi est-elle l’expression ?
C’est une dialectique complexe qui renvoie à des interrogations majeures ayant trait à la question de la « reconnaissance ». Le marketing territorial, le branding, traduit une logique identitaire aujourd’hui largement dominante pour laquelle « il faut s’offrir une marque pour avoir une identité ». Cette identité figée, unique, indistincte est pourtant artificielle. Il s’agit de la construction d’un mensonge collectif et surtout d’une fausse piste. Pour qu’un système de représentation puisse rendre compte de la réalité, il doit être issu d’un processus d’identification inclusif qui comporte la réintroduction de la diversité. C’est le rôle social du design de traduire cette complexité, de contribuer à faire vivre la pluralité et de la rendre reconnaissable dans un système de différenciation visuelle qui soit évolutif et contextuel.
Quel langage visuel alors pour notre université ?
le savoir n’est pas une marque
L’université doit pouvoir résister aux instances autoritaires dont le branding est expression, car le savoir n’est pas une marque. Elle doit se doter des instruments pour redevenir reconnaissable en replaçant le savoir au centre de son système de représentation, dans une cartographie alternative enfin intelligible. L’institution « université » est issue de la cohabitation entre la recherche et la structure qui la rend possible. Le savoir est parfois l’élément commun, parfois l’élément de différenciation subjacent à cette rencontre. Parfois le produit direct du travail intellectuel élaboré au sein de l’université, parfois son élément interstitiel, accessoire. Le design joue un rôle de premier plan car il a le pouvoir de transformer l’accessibilité au savoir, en lui rendant toute sa complexité sémantique, son interdisciplinarité. Quel est alors le vocabulaire visuel qui émane de tout cela ? C’est le véritable enjeu du projet Identités complexes, le sens de notre recherche graphique : rendre le savoir accessible pour que l’université redevienne un espace de liberté.
Irène Nanni