L’identité comme enjeu scientifique

Identités complexes, cela veut dire quoi ?

Pierre Litzler : Une multiplicité de représentations et d’expressions coexiste dans le contexte universitaire : elles doivent être singularisées tout en étant exprimées dans le tout. A l’université, la vraie difficulté c’est de représenter le savoir. Jusqu’à présent les universités se présentaient, comme les entreprises, à travers un logotype. Cette approche très autoritaire ne renvoie pas toujours à son contenu : je ne sais pas si la pomme croquée a à voir avec l’ordinateur. C’est totalement insuffisant pour une université faite de singularités et de relations, qui doivent toutes apparaître.

Pourquoi avoir lancé ce travail sept ans après la fusion des universités strasbourgeoises ? Serait-ce l’aveu d’une difficulté ?

On a toujours tendance à simplifier à l’extrême au lieu de faire de la diversité des représentations une richesse.

P.L. : À la genèse du projet, le master Design se demande comment le design peut contribuer à une meilleure lisibilité et intelligibilité de l’université. Ruedi Baur, un des plus grands graphistes designers européens, fait sa thèse à l’université sur cette question. Nous l’avons invité en résidence et créé un workshop avec les étudiants pour y réfléchir. Nous avions bien conscience que la fusion, mais aussi la volonté d’exprimer l’excellence n’étaient absolument pas sensible à travers les représentations visuelles.

Armelle Tanvez : Nous ne donnons pas assez à voir, à comprendre les missions fondamentales de l’université, sa richesse, la multidisciplinarité. Jusqu’à maintenant nous posions les missions des laboratoires, des entités de formation et des services les unes à côté des autres au lieu de se dire que tous concourent à un même objectif. On a toujours tendance à simplifier à l’extrême au lieu de faire de la diversité des représentations une richesse.

Quel est l’objectif ?

P.L. : Nous voulons construire une représentation à travers le savoir, l’image, les mots, une forme de matrice qui exprime l’Université de Strasbourg et qui soit compréhensible par tous. On passe du logo d’appartenance à un langage visuel. On crée un nouveau modèle.

A.T. : Le fait de revenir à une typographie et d’énoncer clairement les différentes entités, autrement que sous forme d’acronymes, a énormément de sens pour une université. Ces partis pris permettent de comprendre et de créer de la relation. Nous créons un système d’identification, qui s’appuie sur la production de savoirs disciplinaires, qui fondent la raison d’être de notre institution. La force du projet réside dans le choix de l’université de se confronter à la question de la représentation de la diversité dans un tout et de choisir comme cas d’application l’Université de Strasbourg, sans le déléguer à d’autres.

Vous en êtes où ?

P.L. : Lors de la première année, nous avons élaboré le nouveau langage visuel : nouvelle typographie Unistra, système d’identification et création d’un lexicographe qui déchiffrera les centaines d’acronymes de l’université.

A.T. : Nous avons travaillé sur quatre cas pratiques : le Pass campus, le Village des services, la carte de vœux et la signalétique. Nous sommes entre deux moments : la boîte à outils graphique a été validée. On la teste maintenant pendant environ trois mois auprès d’une douzaine d’entités. Chacune va décider ce qu’elle donne à voir d’elle-même : du texte, une image, une équation, une citation… Et, à partir de l’automne et pour une période de deux ou trois ans, on déroulera l’implémentation dans les 150 entités de l’université.

Vous parlez d’un projet de recherche-action ?

On constitue un langage avec un vocabulaire et une syntaxe.

P.L. : Il y a une production de connaissances nouvelles : il s’agit donc bien de recherche. En même temps, il y a une action à porter immédiatement et dans l’avenir sur un terrain à modifier. Ce n’est pas cosmétique, c’est fondamental. On sort de la misère symbolique du signe. On constitue un langage avec un vocabulaire et une syntaxe. On donne les moyens aux gens de s’exprimer.

* Armelle Tanvez et Pierre Litzler sont directeurs du projet Identités complexes

Propos recueillis par Jean de Miscault