Les molécules ont longtemps été considérées comme des espèces chimiques intrinsèquement immobiles, figées par les liaisons entre leurs atomes. Mais depuis une vingtaine d’années, grâce aux travaux pionniers de Jean-Pierre Sauvage sur les machines moléculaires, les chimistes ont appris à les envisager sous un jour nouveau : des architectures pouvant être animées de mouvements contrôlés. Un engouement qui ne se dément pas à Strasbourg.
« En travaillant avec Jean-Pierre [Sauvage, ndlr], j’ai acquis ce goût des belles molécules, de l’exigence scientifique et l’envie de créer des objets complexes », raconte Valérie Heitz qui a réalisé sa thèse sous la direction du prix Nobel de chimie 2016. Aujourd’hui directrice du Laboratoire de synthèse des assemblages moléculaires multifonctionnels (LSAMM) qu’elle a créé, elle mène, parmi d’autres axes d’études, des travaux de recherche dans le domaine des machines moléculaires au sens large. « En fait, on développe des cages moléculaires flexibles, précise-t-elle. En réponse à un stimulus externe, l’idée est de contrôler la taille de leur cavité pour passer d’une conformation fermée à une conformation ouverte. »
Si le défi scientifique de Jean-Pierre Sauvage a été, initialement, d’apprendre « à parler aux molécules » pour contrôler leurs mouvements, celui de Valérie Heitz est plutôt d’associer une fonction aux mouvements des cages moléculaires. « À ce jour, très peu de systèmes artificiels ont atteint l’objectif de convertir des mouvements mécaniques en fonctions utiles. »
Les chimistes peuvent compter sur une source d’inspiration inépuisable : la nature.
Pour y parvenir, les chimistes peuvent compter sur une source d’inspiration inépuisable : la nature. Dans le vivant, il existe en effet de grosses protéines, appelées "chaperons", capables de redonner une forme 3D fonctionnelle aux protéines abîmées. « Les chaperons moléculaires, dont la forme évoque un cylindre creux, piègent les protéines et modifient leur structure spatiale de façon à restaurer leur activité, explique Valérie Heitz. De manière analogue, nous pourrions associer une fonction catalytique à notre cage moléculaire, c’est-à-dire piéger des molécules qui vont réagir au sein de la cavité et en libérer de nouvelles, et ainsi contrôler leur réactivité par l’ouverture ou la fermeture de la cage. » À la clé, une meilleure maîtrise d’une grande variété de réactions chimiques.
Les cages moléculaires que forgent Valérie Heitz et son équipe sont bien différentes des molécules à anneaux entrelacés qui ont valu le prix Nobel à Jean-Pierre Sauvage. En chimie, concevoir une nouvelle molécule, c’est en quelque sorte repartir de zéro. « Il faut imaginer le design de l’objet, mettre au point une stratégie de synthèse, l’optimiser, caractériser l’objet obtenu et finalement tester sa fonction prévue, énumère Valérie Heitz. C’est un défi de créer de nouvelles molécules ! »
Ronan Rousseau
Le 5 octobre 2016, Jean-Pierre Sauvage, professeur émérite à l’Université de Strasbourg, a reçu le prix Nobel de chimie pour ses travaux fondateurs sur les machines moléculaires. En trente ans, c’est la quatrième fois qu’un chercheur strasbourgeois est ainsi distingué, après Jean-Marie Lehn en 1987, Jules Hoffmann en 2011 et Martin Karplus en 2013.