À une cinquantaine de kilomètres au large de Mayotte, dans l’océan Indien, un volcan nouveau-né provoque une forte crise sismique depuis plus d’un an. À l’École et observatoire des sciences de la Terre (Eost), Jérôme Van der Woerd, chargé de recherche CNRS1 suit de près l’évolution de ce bébé volcanique… et sous-marin.
C’est à l’Eost, sur les écrans du Réseau national de surveillance sismique (RéNaSS), que s’enregistrent en temps réel les séismes du monde entier. Le 11 mai 2018, un tremblement de terre de magnitude 5 était ressenti à l’est de la Grande-Terre, à Mayotte. Quelques jours plus tard, un séisme de 5,9 inquiétait vivement la population de l’île. Depuis, plusieurs milliers de secousses ont été enregistrées. Mais pourquoi la terre s’est-elle mise à trembler si souvent, alors que Mayotte est classée en zone de sismicité modérée ? « Le Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM), qui a un bureau de surveillance sismique sur l’île, est doté d’une station accélérométrique, capable de mesurer des mouvements de forte amplitude du sol en cas de séisme. Un réseau de stations permet d’enregistrer les répliques, explique Jérôme Van der Woerd. Mais les instruments dont disposent les laboratoires scientifiques sur place étaient insuffisants pour analyser tous les paramètres de la situation. »
Depuis le début des séismes, l’île s’est enfoncée dans l’océan de plusieurs centimètres.
En juin 2018, alors que les autorités françaises cherchent à avoir des éléments pour pouvoir communiquer sur la crise, des chercheurs du Bureau central sismologique français (BCSF), une structure hébergée à l’Eost, partent pour Mayotte afin, dans un premier temps, d’évaluer les effets et les dégâts de tous ces séismes. Il devient évident que davantage de moyens doivent être mobilisés pour comprendre ce qu’il se passe à Mayotte. L’Eost, l’Institut de physique du globe de Paris, le BRGM et l’Institut français de recherche pour l'exploitation de la mer (Ifremer) montent ensemble un projet avec le soutien du CNRS et du ministère de la Transition écologique et solidaire : « Cela ne s’est pas fait du jour au lendemain, il a fallu plus de six mois pour que ces actions soient validées et financées et pour que l’organisation se mette en place », rappelle Jérôme Van der Woerd.
Des campagnes démarrent en février 2019, avec un bateau de la flotte française, le Marion Dufresne et un bateau de commerce local équipé d’une grue. Des balises sismométriques sous-marines (OBS) sont lâchées par 3 700 mètres de fond, dans la région présumée de l’épicentre des séismes, afin de préciser la position et la profondeur des événements sismiques et leur nature. Des relevés par échosondeur et de la topographie des fonds marins ont montré qu’un volcan s’était formé au fond de l’océan ! Le mystère des séismes était donc levé. Ce volcan, encore anonyme, est le quatrième volcan actif de France. Il mesure près de 1000 mètres de haut, cinq à six kilomètres de diamètre et il continue à grandir. « Un an plus tôt, il n’y avait pas de volcan ; notre hypothèse est que la chambre magmatique, qui fonctionne comme une sorte de réservoir, a provoqué une cassure de la croûte terrestre en laissant échapper de la lave afin de se ménager un conduit vers la surface. D’où les gros chocs du début. » Ces expectorations se déroulent à 20 ou 30 kilomètres de profondeur ce qui fait que leurs effets sont très atténués au fur et à mesure qu’elles remontent : les coulées de lave et les grands panaches de gaz recrachés par le volcan restent sous-marins et sont totalement invisibles à la surface de l’eau.
Au mois de juillet 2019, une nouvelle mission a pu observer la « ride volcanique » se situant entre le nouveau volcan et la zone sismique. Une campagne en mer est prévue en 2020 pour cartographier les fonds marins. Elle permettra peut-être d’expliquer pourquoi, depuis le début des séismes, l’île s’est enfoncée dans l’océan de plusieurs centimètres. Le nouveau volcan est maintenant sous l’œil du ReVoSiMa, le Réseau de surveillance volcanologique et sismologique de Mayotte. Il a déjà inspiré plusieurs sujets de thèses, concernant par exemple « le volcanisme récent et passé de Mayotte et de l’archipel des Comores en lien avec le contexte tectonique », ou encore « la dynamique et structure de la zone de déformation des Comores à partir des données de géophysique marine ». « Aujourd’hui, les outils sont en place pour suivre la crise. Mais bien des questions restent en suspens. »
Jérôme Van der Woerd est un spécialiste des failles actives continentales, principalement au Tibet et en Chine, mais aussi en Californie, au Maroc ou encore en Italie… Mais sa curiosité pour ces zones sismiques spectaculaires ne l’a pas empêché de s’intéresser aux secousses ardéchoises et strasbourgeoises de novembre dernier ! Géologue de terrain, Jérôme Van der Woerd focalise ses recherches sur les ruptures de surface et sur les cassures, même invisibles. Son ambition : « faire parler les séismes » et percer les mystères de la mobilité des failles sur une période plus ou moins longue, de 10 000 ou 100 000 ans, par exemple. Par l’analyse géomorphologique, qui permet d’étudier les déplacements de dépôts alluviaux ou encore les décalages de moraines. Mais aussi par la datation des roches, rendue possible par des méthodes appropriées à base d’isotopes cosmogéniques formés par le rayonnement cosmique, dont le béryllium 10 qui permet d’estimer la vitesse des failles sur le long terme.