mai 2017

Le mimétisme : une stratégie de survie vieille de 270 millions d’années

Sylvain Hugel, neurobiologiste à l’Institut des neurosciences cognitives et intégratives (INCI) et entomologiste passionné et reconnu, a contribué à mettre en évidence la plus ancienne trace d’insecte mimétique grâce à un fossile datant du permien. Sa démarche repousse l’apparition du mimétisme et des sauterelles de plus de 100 millions d’années.

Pouvez-vous nous parler de cette aile de sauterelle fossilisée que vous avez étudiée ?

Le fossile a été découvert dans un gisement des Alpes-Maritimes datant de 270 millions d’années (fin du paléozoïque ou permien), juste avant l’apparition des premières plantes à fleurs. Le Muséum national d’histoire naturelle a souhaité recueillir mon avis d’entomologiste pour confirmer qu’il s’agissait d’une sauterelle. Cette découverte est déjà en soi intéressante car elle fait reculer de 100 millions d’années la première trace de sauterelle.

La forme de l’aile nous a intrigués car elle est assez large entre la nervure centrale et le bord antérieur. Elle fait penser aux actuelles sauterelles mimétiques. Leurs ailes sont larges, imitant les feuilles, mais ne leur permettent pas de voler, contrairement aux ailes des autres sauterelles, plus fines et adaptées au vol.

Comment vous y êtes-vous pris pour montrer qu’il s’agissait une sauterelle mimétique ?

J’ai effectué des mesures sur les ailes de centaines de spécimens d’espèces actuelles, issus de ma collection personnelle, de celle du Musée zoologique de Strasbourg et celle du Muséum national d’histoire naturelle. J’ai calculé une série d’indices descripteurs de forme permettant de caractériser les ailes.

En prenant comme référence une famille de sauterelles mimétiques, j’ai pu mettre en évidence deux groupes statistiquement distincts : les espèces mimétiques et les non-mimétiques. En y superposant les mesures du fossile, j’ai pu constater qu’il avait les caractéristiques des sauterelles mimétiques actuelles. C’est une méthode d’analyse que j’utilise en neurobiologie pour étudier la distribution de populations de neurones ou de caractéristiques de courants synaptiques.

Une sauterelle mimétique actuelle. © Sylvain Hugel
Une sauterelle mimétique actuelle. © Sylvain Hugel

Quels enseignements apporte cette découverte ?

Il a 270 millions d’années, les insectes avaient déjà adopté la stratégie de prendre l’apparence de feuilles pour tenter d’échapper à leurs prédateurs. D’ailleurs, la forme du fossile évoque celle d’une plante préhistorique, Taeniopteris, retrouvée dans un gisement voisin.

Il est intéressant de voir que les insectes mimétiques apparaissent au moment où les vertébrés terrestres connaissent une forte diversification. On peut imaginer qu’avec l’apparition des reptiles planeurs, qui ont un système visuel et nerveux plus complexe que ceux des libellules géantes par exemple, de nouveaux systèmes de détection des proies naissent, ce qui conduit à mettre en place de nouvelles stratégies de survie, comme le mimétisme. Encore un exemple fascinant de l’évolution des espèces.

Propos recueillis par Stéphanie Robert