février 2020

Le cœur des chromosomes visualisé en 3D

Deux équipes de l’Institut de génétique et biologie moléculaire et cellulaire (IGBMC) ont réussi à visualiser, pour la première fois à cette résolution et in vivo, le centromère des chromosomes humains. Cette structure où se joignent les chromatides sœurs est primordiale pour l'intégrité du vivant. Une avancée dans la perspective de soigner le cancer et les maladies génétiques.

Le centromère est la région centrale du chromosome, il assure la séparation des chromatides sœurs lors de la division cellulaire, la mitose. « Cette structure est vitale pour les êtres vivants, des dysfonctionnements ou des anomalies entraînent une mauvaise ségrégation des chromosomes lors de la mitose. Cette instabilité génétique est à l'origine de cancers et de maladies génétiques », explique Ali Hamiche, biochimiste et directeur de l'équipe Chromatine et régulation épigénétique de l'IGBMC.

Le centromère peut aussi constituer une cible thérapeutique pour développer de nouveaux traitements contre le cancer, plus puissants et ciblés, en bloquant la division cellulaire des cellules cancéreuses.

Microscope optique et reconstruction 3D

Au centre de l'image, le microscope optique à super-résolution qui a servi aux observations.
Au centre de l'image, le microscope optique à super-résolution qui a servi aux observations.

On comprend alors tout l'intérêt d'étudier le centromère. Les chercheurs ont réussi à le visualiser in vivo, en cours de formation dans une cellule humaine, à une résolution de 20 nm (soit 10-9 m, contre 300 nm jusqu'alors) et en 3D. Ils ont pour cela conjugué leurs compétences en biochimie, biologie structurale et informatique. « Visualiser en trois dimensions est important, car cela permet de mieux comprendre la fonction », souligne Bruno Klaholz, chef de l’équipe Chromatine et régulation épigénétique.

Avec une molécule fluorescente reconnaissant spécifiquement les protéines du centromère (les histones CENP-A), ils ont pu marquer ces structures dans les cellules et les observer grâce à un microscope optique à super-résolution. Résolution qu'ils ont réussi à augmenter par traitement d'image et calculs mathématiques. L'alliance de l'optique et du numérique. Ils sont également parvenus à reconstruire un modèle en 3D, à partir des images de microscopie 2D obtenues. Cinq ans de travail ont été nécessaires pour parvenir à ce résultat. Il a été publié le 30 septembre 2019 dans Nature Communications.

Un anneau de 300 nanomètres...

Ils découvrent que le centromère a une forme de rosette, puis d'anneau, d'environ 300 nm de diamètre. « Comme deux mains qui se rapprochent et se séparent, avec une cavité au centre. Nous ne nous y attendions pas », confient les chercheurs. Il est formé par le groupement de milliers de nucléosomes CENP-A, qui apparaissent en fluorescence sur l'image. Le nucléosome, c'est le complexe formé par l'ADN qui s'enroule autour de l'histone, comme un fil autour d'une bobine. C'est ce qui permet la compaction de l'ADN pour former la chromatine et donc les chromosomes. « Cette structure en rosette va préparer la séparation des deux chromatides sœurs pour la division cellulaire. »

Encore mieux, les chercheurs ont développé des programmes informatiques pour quantifier le nombre de signaux fluorescents, donc d'histones CENP-A, sur le modèle 3D. Résultat : il y aurait environ 2500 à 3000 nucléosomes CENP-A dans chaque centromère. « Ce qui est aussi extraordinaire, c'est que malgré la disparité des 46 chromosomes humains en termes de taille, le centromère est identique pour tous ! Cette architecture unique est très surprenante et remarquable », s'enthousiasment les chercheurs d'une même voix.

L'histone chaperonne au centre

Préparation de l'échantillon sous l'occulaire du microscope.
Préparation de l'échantillon sous l'occulaire du microscope.

L'assemblage des milliers de nucléosomes CENP-A pour former cette structure centromérique en rosette est assurée par une histone chaperonne, de son petit nom HJURP, qui vient se placer au centre de la cavité. C'est un autre enseignement de la visualisation 3D. « Nous attendions l'histone chaperonne, mais pas à l'intérieur », disent-ils.

Enfin, les chercheurs ont découvert que cet assemblage se déroule avant la réplication de l’ADN*. « C'est un paradoxe, car toutes les autres histones des chromosomes sont déposées pendant la réplication de l'ADN. Cela montre le rôle spécifique de CENP-A et du centromère », commente Ali Hamiche.

Pour les deux chercheurs, qui ont coutume de travailler ensemble, cette étude ouvre tout un nouveau champ de recherche pour mieux comprendre la fonction et la structure du centromère. Comment se déroule la ségrégation des chromosomes ? Comment est régulé le mécanisme ? Quelles sont les autres protéines impliquées ? Comment sont-elles recrutées ? Comment s'assemble le kinétochore ? Ce réseau de microtubules qui sépare les deux chromatides sœurs vers les cellules filles au cours de la division cellulaire.

« Cette étude ouvre aussi des pistes pour utiliser l'imagerie dans l'étude des structures biologiques », ajoute Bruno Klaholz. Les chercheurs projettent de poursuivre l'étude du centromère avec d'autres techniques et appareils : par tomographie électronique, microscopie électronique... Le but serait d'aller jusqu'au niveau atomique, à l'échelle de l’angström...

* Pendant la division cellulaire, l’ADN est dupliqué en deux copies identiques pour former celui des cellules filles.

Par traitement d'images et développements mathématiques, les chercheurs ont amélioré la résolution jusqu'à 20 nm (à gauche) et reconstruit un modèle 3D du centromère (à droite). Il apparaît en forme de rosette puis d'anneau, de 300 nm de diamètre.

Biologie intégrative ouverte

« Tous les développements réalisés ici au Centre de biologie intégrative sont ouverts à la communauté scientifique, académique et industrielle, strasbourgeoise, française et européenne, dans un esprit de science ouverte », précise Bruno Klaholz. Instrumentation, méthodes, savoir-faire, tout est accessible, disponible et partageable.

www.igbmc.fr/grandesstructures/cbi/

Stéphanie Robert