février 2017

« Filtrer plutôt que barricader »

En ces temps de crises – migratoire, économique, sécuritaire – les frontières font plus que jamais parler d’elles. Bon nombre de courants populistes prônent leur rétablissement comme la solution aux maux qui affligent nos sociétés. Mais est-ce crédible ? Éléments de réponse avec Frédérique Berrod, agrégée de droit public et professeure à l’Institut d’études politiques de Strasbourg.

L’idée de sécurité, souvent associée à une fermeture des frontières, est-elle illusoire ?

ce n’est pas en fermant la fenêtre que vous éviterez d’attraper la grippe

En effet, ce n’est pas en fermant la fenêtre que vous éviterez d’attraper la grippe… Fermer les frontières, c’est faire une distinction entre le national et le non-national, en présupposant que ce qui est à l’extérieur des frontières est par essence dangereux et inversement. Je ne pense pas que ce modèle puisse permettre de renforcer la sécurité. On le voit bien ces dernières années avec l’ensemble des attaques terroristes. Bien souvent, l’ennemi vient de l’intérieur. Il est en outre irréaliste de penser pouvoir cadenasser un territoire entier. Donald Trump va s’en rendre compte rapidement, un mur sera toujours franchi, fût-il haut de six mètres et hérissé de fils barbelés.

Peut-on ouvrir les frontières tout en garantissant la sécurité ?

À l’heure où les flux commerciaux et migratoires s’intensifient, la frontière doit être pareille à la membrane d’une cellule : filtrer plutôt que barricader. Le modèle des frontières ouvertes permet de trier ce qui doit entrer dans le territoire et ce qui doit rester aux confins parce que dangereux. Il ne constitue pas une stratégie candide. S’il autorise une libre-circulation des personnes et des marchandises, il doit aussi permettre de mieux tracer leur éventuelle dangerosité grâce à une coopération des services et des administrations. Pour renforcer la sécurité, il convient avant tout de comprendre ce qui est dangereux et pour qui. Une fois le danger identifié, il est plus efficace de coopérer pour l’éviter.

En quoi l’Union européenne transforme-t-elle la fonction des frontières ?

L’ouverture des frontières, c’est l’ADN de l’UE

L’Europe recoud les discontinuités juridiques entre les états de manière à assurer un libre accès aux citoyens, aux marchandises, aux capitaux, aux services, etc. Elle transforme la frontière en un lieu de passage où l’on régule les échanges au lieu de les empêcher. L’ouverture des frontières, c’est l’ADN de l’UE. En France, l’extrême droite comme l’extrême gauche promeuvent respectivement un protectionnisme "intelligent" et "solidaire", une solution éminemment nationaliste. On sait que le nationalisme exacerbé mène à des conflits voire même à la guerre. La tentation de la frontière pourrait donc se révéler profondément destructrice du projet européen.

Propos recueillis par Ronan Rousseau

Un colloque consacré aux frontières

Toutes les disciplines scientifiques ont des frontières qui leur sont propres. Un colloque interdisciplinaire organisé à l’Université de Strasbourg s’est proposé de les explorer en octobre 2016. Pour voir ou revoir les différentes interventions : canalC2.fr