Au Centre de primatologie, Hélène Meunier étudie la cognition sociale auprès de 150 primates. Comment résolvent-ils les problèmes sociaux ? Comment perçoivent-ils leurs congénères ? Elle a développé un outil numérique pour leur laisser la liberté de participer aux exercices. Et, eux aussi, adorent jouer sur les écrans tactiles ...
Depuis sa création en 1978, le Centre de primatologie est installé au Fort Foch, sur les collines à l’ouest de Strasbourg. Un écrin de verdure singulier, interdit au public pour préserver la tranquillité des animaux. « C’est un outil de recherche unique en Europe par les conditions d’observation qu’il offre : un parc boisé, sans visiteurs, avec des animaux en semi-liberté et habitués à l’homme » estime Hélène Meunier, primatologue, ingénieure de recherche au Laboratoire de neurosciences cognitives et adaptatives (LNCA, unité mixte Unistra/CNRS).
Avec l’aide de son équipe incluant étudiants, doctorants et post-doctorants, Hélène recherche les origines et les prérequis de la « théorie de l’esprit », longtemps considérée comme le propre de l’homme. C’est la capacité à évaluer les états mentaux d’autrui, la compréhension des sentiments, des perceptions et des intentions de l’autre, et qui permet l’empathie. « Depuis 2000, cette aptitude a été montrée chez les chimpanzés. On s’aperçoit qu’ils ont de nombreuses capacités similaires aux nôtres. »
Ses outils : l’observation spontanée et des dispositifs expérimentaux, « toujours avec la participation spontanée et volontaire des animaux », son crédo. Exemple, deux macaques sont face à face. L’un, le subordonné, peut voir les deux bananes mises à disposition, alors que le dominant ne peut en voir qu’une. On observe que le subordonné feint de ne pas voir la banane cachée pour s’en emparer seulement après le départ du dominant. Le macaque semble capable de prendre la perception visuelle d’autrui, prérequis à la théorie de l’esprit. Mieux, il adopte manifestement un comportement de tromperie, qu’il va falloir investiguer par d’autres tests.
Grâce à la dizaine d’espèces présentes, elle peut mener des études comparatives : quelle est l’influence de la structure sociale (égalitaire ou très hiérarchique) sur les capacités cognitives ? Quand sont apparus, dans l’histoire de l’évolution, tel comportement ou telle capacité ?
Pour tester les animaux sans contrainte, la chercheuse a développé un outil : des écrans tactiles en libre accès, avec un module d’exercices pour évaluer leurs capacités d’attention et de mémoire. A chaque bonne réponse, ils ont une petite récompense alimentaire, selon le principe de « conditionnement opérant par renforcement positif ». « En nous appuyant sur ce principe, nous avons réussi à obtenir des vitesses d’apprentissage des consignes hors du commun » dit-elle. Par la suite, l’outil pourrait être utilisé en recherche appliquée pour étudier les maladies neurodégénératives.
« Dans un laboratoire classique, les singes sont sortis de leur groupe social et contraints de travailler pendant une heure sur un ordinateur. Ici, l’animal est libre d’aller jouer à la machine. Pour eux, c’est un jeu, et non plus un travail. On observe même une compétition pour accéder à l’écran. Ils réalisent plusieurs centaines d’essais par jour, ils sont très motivés » sourit-elle. Le monde humain du travail devrait s’en inspirer !
Stéphanie Robert