Les organismes génétiquement modifiés (OGM) font régulièrement parler d’eux dans l’actualité scientifique et grand public. Une étude menée par Léon Otten, professeur émérite de la Faculté des sciences de la vie et chercheur au sein de l’Institut de biologie moléculaire des plantes (IBMP), a permis de relever la présence d’organismes naturellement transgéniques à grande échelle.
L’hypothèse qu’il présente dans la publication scientifique* rédigée avec sa consœur Tatiana V. Matveeva, professeur à l’Université de Saint-Pétersbourg, est celle de la création de nouvelles espèces de plantes par le transfert de gènes provenant d’une agrobactérie de type Agrobacterium rhizogenes. Ce phénomène se produit par plusieurs étapes successives. Présente dans le sol, l’agrobactérie entre en contact avec les cellules d’une plante hôte par l’intermédiaire de lésions de l’enveloppe externe de cette dernière. Ce faisant, elle lui transfère une partie très précise de son ADN. Les cellules transformées de l’hôte se divisent, produisent des substances de croissance et d’autres, appelées des opines - et créent une racine qui se développe jusqu’au sol. Cette racine donne ensuite naissance à une nouvelle plante au génome distinct : non seulement il comporte celui de la plante d’origine mais aussi une partie de celui de l’agrobactérie. Les modifications génétiques opérées peuvent être telles que la plante obtenue est méconnaissable par rapport à son ancêtre et peut alors constituer une nouvelle espèce.
Est-ce que le terme « OGM » a encore du sens ?
Pour déterminer le caractère exceptionnel ou non de ce processus, les deux scientifiques ont recherché avec quelle fréquence la partie habituellement transférée (complète ou partielle) de l’agrobactérie est présente dans les bases de données de séquençages d’ADN de végétaux. Une tâche exigeante et minutieuse qui leur a demandé deux ans de travail.
« Auparavant on pensait que l’action des agrobactéries était une exception. On estime désormais que 15 000 espèces de plantes supérieures sur les 200 000 connues sont nées de leur action et sont donc naturellement transgéniques », explique Léon Otten. Avant d’ajouter avec malice : « La nature a déjà produit plus de plantes OGM que Monsanto ! » De fait, de l’ADN de l’agrobactérie est présent dans de nombreux végétaux de consommation courante tels que la banane, la patate douce ou encore le houblon.
Ce mécanisme, vieux d’au moins un million d’années, diffère du traditionnel schéma de spéciation mis en évidence par Darwin et interpelle : est-ce que les gènes transmis par l’agrobactérie peuvent avoir des effets sur l’Homme ? Ont-ils un intérêt en agriculture ? Donnent-ils un goût aux aliments ?
Cette découverte pose également des questions quant à notre manière de définir et de percevoir les organismes génétiquement modifiés. Si les plantes transgéniques existent à l’état naturel, est-ce que le terme « OGM » a encore du sens ? Quelle définition utiliser désormais ?
« En produisant des OGM, on ne fait qu’imiter la nature », plaide Léon Otten. Il n’est pas sûr que cela suffise pour changer la perception largement négative des OGM dans l’opinion publique. Cette découverte permet néanmoins de replacer la transgénèse dans l’histoire de l’évolution du vivant. Et elle permet de réfléchir, de manière éclairée, à la place que l’on souhaite lui accorder dans les années à venir.
* « Widespread occurrence of natural genetic transformation of plants by Agrobacterium »