août 2021

Du Nutella, sinon rien

Voilà une étude qui va secouer le cocotier de quelques idées reçues ! Quand on interroge le consommateur sur sa marque préférée de pâte à tartiner, il répond : Nutella. Comme si les effets indésirables de l’huile de palme sur la déforestation et la santé ne comptaient pas. Explications avec Sihem Dekhili, co-auteur d’un travail de recherche sur la célèbre pâte à tartiner.

Sihem Dekhili, Sihem Dekhili, enseignante-chercheuse à l’Ecole de management - Strasbourg, spécialisée en marketing durable.

Quel est le sujet précis de votre recherche sur le Nutella ?

Lors d’une communication dans un congrès, nous avons ainsi titré notre travail : « Nutella avec de l’huile de palme, le plaisir coupable ! » Comment Nutella, marque à la notoriété mondiale mais qui contient un ingrédient posant de réelles questions écologiques, impacte-t-elle sur le comportement des consommateurs ?

Pourquoi avoir choisi cette marque ?

On a tous vu les quasi émeutes de 2018 dans des grandes surfaces françaises, où les consommateurs se sont rués sur des pots de Nutella en promotion. En France, il se consomme 3 kg de pâte à tartiner par seconde, dont 80 % de Nutella ! En même temps, le produit contient 20 % d’huile de palme. Elle présente de forts atouts gustatifs et industriels, mais elle est aussi associée à la destruction de forêts tropicales, à son impact nuisible sur la santé humaine, ou sur celle des ouvriers agricoles… Certaines marques ont choisi de la remplacer par d’autres huiles végétales, comme le colza : c’est le label « sans huile de palme ». Nutella a choisi de conserver l’huile de palme en la labellisant RSPO (roundtable for sustainable palm oil), soit une huile de palme qui respecterait les conditions écologiques. Nous avons voulu savoir quelle était la stratégie la plus efficace pour convaincre le consommateur : le sans huile de palme ou le avec huile de palme responsable.

Comment avez-vous mené votre enquête ?

Nous avons interrogé 360 personnes à Strasbourg d’avril à juin 2019 : des femmes, des hommes, de tous les âges, avec des niveaux de revenus différents. Nous les avons mis face à différentes étiquettes de pâte à tartiner : certaines relatives à Nutella et d’autres de la marque Alter Eco, associée au commerce équitable.

Quel est le résultat ?

La maximisation des préférences des consommateurs passe par la marque Nutella. Le produit préféré : c’est la marque Nutella avec l’huile de palme conventionnelle. C’est la force de la marque.

Quelle leçon en tirez-vous ?

Les vrais accros ne sont pas prêts à sacrifier le plaisir gustatif pour un argument d’ordre écologique.

Les personnes les plus sensibles à la question environnementale et sociale de l’huile de palme sont plutôt des femmes aux revenus plus élevés et occasionnellement consommatrices de pâtes à tartiner. Les vrais accros ne sont pas prêts à sacrifier le plaisir gustatif pour un argument d’ordre écologique. Le même constat vaut dans la mode : si les vêtements éthiques que vous voulez vendre ne sont ni esthétiques, ni branchés, ils vous resteront sur les bras.

Le marketing au service de l’écologie

Sihem Dekhili est enseignante-chercheuse à l’Ecole de management - Strasbourg, spécialisée en marketing durable. Elle est rattachée au laboratoire Beta (Bureau d’économie théorique et appliquée). « On peut s’appuyer sur les outils et approches du marketing afin de renforcer la consommation écologique, insiste-t-elle. Ce n’est pas parce que quelques marketeurs ont des pratiques peu responsables que l’approche écologique du marketing doit être dénoncée. »

Propos recueillis par Marion Riegert