Le nouveau terrain de jeu du multiprimé physicochimiste Thomas Ebbesen : les états hybrides lumière-matière qui naissent en cavité micro ou nanométrique, entre deux lames de métal. Cette chimie polaritonique permet de changer les propriétés de la matière et ouvre un pan méconnu de cette science.
« J’ai trouvé cela absolument fantastique, c’est une manière de modifier les propriétés des molécules sans les toucher, mais en les mettant dans une cavité pour contrôler leur environnement électromagnétique », raconte-t-il à propos de l’article du physicien et prix Nobel Serge Haroche en 1989, sur l’électrodynamique de cavité, sa grande source d’inspiration. Celle-ci même qui a valu à Thomas Ebbesen une découverte notoire, la transmission extraordinaire de la lumière, récompensée par le prix Kavli1 en 2014.
En 2012, l’insatiable curieux reprend ce même point de départ et développe un autre pan, la chimie polaritonique, selon le terme qu’il a inventé. Il est parvenu à démontrer ce rêve qu’il caressait : modifier les propriétés des molécules grâce à l’électromagnétisme quantique, en les plaçant simplement dans une cavité. La cavité peut être des nanoéprouvettes ou celle formée entre deux plaques de verre recouvertes d’une couche métallique, des miroirs. Un protocole matériellement simple, facile à mettre en œuvre, mais le phénomène est des plus complexes à comprendre et expliquer ! Thomas Ebbesen et Anoop Thomas2, son doctorant qui mène des expériences et écrit des publications avec lui, sont les premiers à le reconnaître.
A l’instar de métronomes ou de pendules qui se synchronisent lorsqu’ils sont sur un même support en échangeant de l’énergie mécanique, les molécules peuvent entrer en résonance avec la cavité en échangeant des photons virtuels (qui disparaissent aussitôt formés). Il faut pour cela ajuster la taille de la cavité à une longueur d’onde précise en rapport avec la molécule. On crée ainsi deux états hybrides lumière-matière, même dans l’obscurité, dits « états polaritoniques ». L’équipe a montré en 2012 et 2016, que ce phénomène pouvait modifier une réaction chimique, sa vitesse mais aussi son sens en favorisant un produit plutôt qu’un autre. Ils ont également réussi à « exalter » la conductivité des semi-conducteurs organiques, dont on espère qu’ils pourraient un jour remplacer le silicium de nos ordinateurs. Et tout dernièrement, le phénomène marche aussi sur les enzymes, des molécules biologiques !
En 2011, les éditeurs des revues scientifiques pensaient qu’il s’agissait de science-fiction
Si en 2011, les éditeurs des revues scientifiques étaient incrédules et pensaient qu’il s’agissait de science-fiction, ils commentent aujourd’hui leurs publications par « beautiful », « unbelievable », « so exciting » « remarkable ». Thomas Ebbesen a reçu le grand prix de la fondation de la Maison de la chimie en février 2018 pour ces recherches. « C’est le quatrième sujet de ma carrière, et je n’ai jamais autant été excité que par ça ! ». Nous sommes au début d’une nouvelle chimie, qu’on ne soupçonnait même pas il y a quelques années. Et le chercheur a encore beaucoup d’idées dans ses tiroirs…
1 Habituellement qualifié de prix Nobel des nanosciences
2 Laboratoire des nanostructures, Institut de science et d'ingénierie supramoléculaires (Isis)