février 2018

Caravaniers et bâtisseurs

La civilisation nabatéenne passionne et mobilise des équipes de recherche partout dans le monde, y compris à Strasbourg, à la Faculté de théologie protestante.

Aquarelle sur papier de Julius Euting - Nord-est du centre-ville de Petra ; Collection BNU Strasbourg.

Des centaines de milliers de touristes visitent chaque année l’un des plus riches et vastes sites archéologiques du monde, Petra, au sud de la Jordanie. Petra, du grec « la roche », a été redécouverte en 1812 après presque deux millénaires d’oubli. Elle s’est bien rattrapée : prise d’assaut par des hordes de visiteurs, elle demanderait plutôt aujourd’hui, qu’on la laisse un peu tranquille ! Depuis le milieu du XIXe siècle, elle intéresse les explorateurs archéologues et spécialistes sémitisants, notamment l’orientaliste Julius Euting, qui deviendra plus tard le directeur de la Bibliothèque nationale et universitaire à Strasbourg.

Petra se montre davantage comme une ville dédiée aux cérémonies et aux rites funéraires qu’au quotidien de ses habitants

On appelle Petra la cité rose, avec ses édifices somptueux dont les plus remarquables ont été taillés à même la falaise en gré rose-bleuté. Mais que connaît-on vraiment du royaume des Nabatéens, dont Petra était la capitale pendant à peu près quatre siècles ? A quoi servaient tous ces bâtiments ? « Petra, capitale du royaume, centre économique, avec tous ses temples, ses installations rupestres et ses tombeaux, se montre davantage, dans ce qu’il en reste, comme une ville dédiée aux cérémonies et aux rites funéraires qu’au quotidien de ses habitants », constatent Régine Hunziker-Rodewald, professeur d’Ancien Testament et d’histoire du Proche-Orient ancien et Thierry Legrand, professeur en histoire des religions. La civilisation nabatéenne s’est étendue d’au plus tard de la fin du 3e siècle avant J.-C. au début du 2e siècle après J.-C. Elle est mentionnée par ces mots chez Pline l'Ancien, en 77 après J.-C. : « Puis les Nabatéens ont construit la ville de Petra, située dans un vallon d'un peu moins de 2 000 pas, entourée de montagnes inaccessibles... »

Une monnaie, une langue, une écriture

Infatigable « voyageur de commerce », cette tribu de caravaniers pratiquait à dos de dromadaire, entre l’Arabie Saoudite et le Levant, le négoce de l’encens, de la myrrhe et d’autres aromates précieux. « Des pièces de monnaie retrouvées permettent de retracer leurs périples jusqu’à Damas, à Doura Europos et à Suse », affirme Régine Hunziker-Rodewald. Ils auraient même été jusqu’à Aventicum en Suisse !

Les Nabatéens, qui parlaient un dialecte araméen, avaient leur propre écriture, battaient leur monnaie à l’effigie de leurs rois et reines, produisaient une fine céramique peinte très particulière et taillaient leurs monuments dans les rochers dans un style orientalisant tout à fait original. A 500 km de Petra, dans la ville de Hegra-Madâ’in Sâlih, les fouilles archéologiques ont démarré dans les années 1980, bien plus tard qu’à Petra. Depuis 2008, Hegra est également classée au patrimoine mondial de l’Unesco et des équipes franco-saoudiennes sont en charge de cette fouille. « De nombreux vestiges y ont été trouvés et on s’est aperçu qu’il s’agissait bien de la même civilisation nabatéenne : ce sont des objets et des statuettes similaires, des pièces de monnaie et on retrouve ces motifs spécifiques, en forme d’escaliers, sur le haut des façades... »

Myriam Niss - Régine Hunziker - Rodewald

Julius Euting, bibliothécaire-voyageur

Julius Euting (1839-1913) ; env. 1892 ; Collection BNU Strasbourg

Grand voyageur et collectionneur, Julius Euting, orientaliste allemand et spécialiste d’épigraphie et de paléographie sémitiques, a été dès 1872 le premier bibliothécaire de la Kaiserliche Universitäts- und Landesbibliothek (KULB, ancêtre de la Bibliothèque nationale et universitaire, BNU). Il devient son directeur en 1900 et le reste jusqu’à sa retraite en 1909. Depuis 1873, il assure des cours en langues sémitiques à l’Université de Strasbourg et en 1880, il y est nommé professeur honoraire. Julius Euting a mené des voyages d’études, entre autres, à travers l’Arabie centrale (1883-1884), en Égypte, au Sinaï, en Syrie (1889-1890) et à Petra (1898). Il a rapporté de ces voyages environ 1000 estampages d’inscriptions et, dans ses journaux de voyage méticuleusement tenus ses observations écrites et illustrées, d’archéologue, d’historien, de philologue et d’ethnologue.
La Bibliothèque nationale et universitaire à Strasbourg conserve dans son Fonds Julius Euting une petite collection d’objets nabatéens. On y trouve notamment de la céramique, des inscriptions sur pierre et des estampages d’inscriptions en langue et écriture nabatéennes.
Pour préserver et rechercher l'héritage personnel et scientifique de J. Euting, des parents du savant (il n'a lui-même laissé aucune descendance directe) et une poignée de sémitisants et historiens intéressés hors de la famille, ont fondé en 2004 la Julius Euting-Gesellschaft. Sa présidente est actuellement Régine Hunziker-Rodewald. L’objectif de la fondation est, avant tout, de publier ses journaux de voyage et d’évaluer ses albums de croquis. Son rapport sur sa participation aux fouilles de Zincirli Höyük (1889-1890) a été publié sous forme de fac-similé en 2013, un recueil d’articles concernant ce même rapport et une édition commentée de son expédition à Petra en 1898 sont en préparation.